miércoles, 26 de septiembre de 2012

Salle d'attente.5.


Salle d’attente.5.

 
 
 

Cette fois-ci oui, elle crève, crève pour de bon. Enfin, c'est ce qu'elle dit à chaque fois. Exagéré comme toujours.

C’est l’ultra moderne solitude comme dit l’autre. Elle a coché toute la liste des choses à faire. Petit oiseau, petit oiseau, petit oiseau à chaque ligne.

Une vie extrême, intense, accélérée et maintenant quoi ? relations longues, relations courtes, relations à trois, descente aux enfers du sexe, la drogue, l’alcool, la vie saine, les écolos, le sport, l’engagement, les études, les voyages, la peinture, les expos, les spectacles, les rencontres, les anecdotes, la magie et maintenant quoi ?

Elle est terrorisée au fond de son lit, paralysée, anesthésiée, une belle au bois dormant dans une ville de plusieurs millions d’habitants. Anachronique.
Sa gorge lui brûle le petit filet de voix qui lui reste. Maintenant il faut écouter. Les paroles d’un médecin. Paroles d’un guérisseur.

Ce matin, elle a appelé SOS Médecin. Le titre lui plaisait probablement.

Et il est arrivé. Le même médecin qui trois ans auparavant l'avait soigné d'une vilaine diarrhée ridicule. Miracle, coïncidence, hasard. Dans une ville de plusieurs millions d’habitants.

Elle a pleuré longtemps en écoutant ses paroles de miel. Elle aimerait donner quelque chose qu’elle n’a pas. Elle est la nouvelle Marylin. Deux cents numéros de téléphone conservés dans le téléphone portable mais personne pour déjeuner avec elle.

Des hommes tournent autour.Pas de bonnes intentions, toujours un intérêt caché. Elle représente une icône, un trophée, du fric, du piston. On veut la sucer jusqu’à la moelle.
Elle n'a pas envie d' être sur ses gardes en permanence, de fermer les portes. Alors elle baisse la garde et laisse venir à elle. On la piétine sans se soucier. Elle est forte. C’est une super girl. Elle s’en remettra. Combien de fois elle se relèvera ? Combien de fois elle essuiera ses genoux plein de boue ? Combien de fois elle passera à la machine ses fringues imprégnées d’alcool et de tabac ? Combien de fois avant de se balancer par la fenêtre, dire merde au monde et allez-vous faire foutre ?

Trophée de papier glacé, de papier mâché, papier de soie froissé. Elle a bien peu d’épaisseur dans les yeux des autres. Et pourtant…elle est plus dense que le mercure, plus brillante qu’une géante, plus inspirante qu’une lune gibbeuse…

Salle d'attente.4.


Salle d’attente.4.



 
Elle crève, crève, crève. Elle tremble, tremble, tremble. Elle a mal, mal, mal. Et toujours ces deux putains de bougies pour unique compagnie. On lui arrache le cœur, mais c’est qui « on » ? Que faire, que dire, quelle carte abattre au jeu du chat et de la souris. Des heures et des heures à vivre avec soi. La carence est un gouffre, comme s’il n’y avait plus rien d’autre que le vide béant.

Les pièces du puzzle semblent s’emboiter à première vue mais rien ne s’encastre parfaitement. C’est fait à la main, ça s’ajuste mal, faut limer, raboter, poncer, rajouter. La camomille lui réchauffe l’estomac puis lui met les tripes en vrille. Rituel du soir, désespoir.

La ville est sombre, bien sombre. Laisser passer, laisser pisser, laisser se faire blesser. Elle a du plomb dans l’aile, dans l’estomac, dans le crâne. Elle souffre comme une marguerite effeuillée. Elle n’est plus qu’un cœur jaune dénudé. Le pollen tombé à ses pieds, elle est une fleur ratatinée, épuisée. Une vie passée à courir derrière le train des hommes. Attendre, attendre le bel et tendre. Putain de merde. Salle d’attente de merde.

Sur la table, les revues féminines sont en désordre et toujours en couverture Carole Bouquet dans son chemisier de bourge’, les lèvres peintes, les perles autour du cou et quelques pattes d’oie au coin des yeux. Splendide, l’inatteignable, la couverture glacée.
Alors qu’elle, elle est  un monstre, une ombre, un dégoulis de quelque chose, un vilain petit truc dans un petit recoin, une serpillière au fond d’un seau, un vomi de rat, un machin fissuré qui cherche encore et toujours à contrôler la chute et le fracas.

C’est le bordel, toujours le bordel mais elle a intégré le très grand clan des femmes qui souffrent. Les victimes impuissantes, les traumatisées hystériques, les sages folles, les sorcières amazones.


 

 

Salle d'attente.3.


Salle d’attente. 3






L’attente se fait de plus en plus longue. Les tics et les tremblements reprennent de plus belle. Au fil des heures, elle se transforme en pantin désarticulé. Les cigarettes et les camomilles n’ont plus le même émoi. C’est la débâcle et la grande détresse. De femme d’action, elle est passée à femme passive. Brusque changement de cap.

Savoir que quelqu’un l’aime sur cette planète, la certitude s’est évanouie. Après une libération de quelques semaines, voici le méga stress de nouveau à l’attaque. Le sentiment de crever là toute seule au fond des draps l’entorlope doucement ou la prend avec furie en tenaille. Ce n’est plus un loup mais plutôt un vilain cafard tout noir, tout moche, tout sale et tout pourri.

Le téléphone seul pourrait la délivrer de ses affreuses pattes. Mais voilà le téléphone a décidé de ne pas sonner. Il fait la grève le téléphone. Il en a ras le bol. Il se sent usé, fatigué, impropre, abusé. Alors il reste là, à son poste, sur la table de nuit, muet. Muet comme une tombe. Tant pis pour elle si elle a mal se dit-il. Faut bien qu’elle apprenne. Ça ne pouvait plus durer ces histoires-là. Et puis je ne pouvais plus servir d’intermédiaire. De bouche-trous, de bouche-évier qui refoule, de ramasse-cœur en miettes, de rattrappe-fisssures, de range-bordel, de rapproche-solitude.

Voilà c’est tout ce à quoi il pense, le téléphone, dans son infini sagesse d’objet. Alors il se tait et il reste là. Tranquille. Lui, il a pris sa décision. Et elle à côté, elle crève, à petit feu de minutes en minutes. Mais elle a compris, elle est d’accord. Elle ne lui en veut même pas. Elle écoute son non-dit. Il a raison après tout ce téléphone.

Salle d'attente.2.


Salle d’attente.2.
 


Attendre. Une vie à attendre. A se préparer. A se faire belle. Se poudrer le nez. Se farder les yeux. Se parfumer et courir toujours derrière le train des hommes. Pour se croire une princesse. S’épiler les escalopes. Se déodoriser les aisselles. Avaler un petit bonbon pour l’haleine. Mettre des baskets pour faire croire qu’on est cool, qu’on s’est préparée en deux minutes. Adopter une attitude fresca alors qu’on tremble en regardant sa montre. Tout ça pour qui ? Pour papa.

Réajuster son string. Encore un petit coup d’œil dans le miroir. Est-ce qu’on voit les marques ? Compter les jours sur le calendrier. Les règles, c’est pour quand déjà ? Le pantalon blanc, ce n’est peut-être pas une bonne idée. Mais on n’a plus le temps de se changer. Coordonner les tons sur tons, trop compliqué. Bon alors une cigarette. Sur le canapé, sans bouger de peur d’attraper une ride ou de faire couler le mascara, attendre. Attendre la putain de sonnerie. Attendre le glas. …coup de sonnette

…mais pour qui sonne le glas ?...pour elle, bien sûr. Elle est son plan B, c’est ce qu’il vient de lui expliquer, là tout de suite dans la voiture... La bonne humeur s’étiole peu à peu. L’amertume arrive à petits pas. Puis à pas de géants. Putain qu’est-ce qu’elle fout là ? Putain tous types de schémas elle aura vécu. Encore mieux que le lait condensé. Les gens rient autour d’elle. Elle, ça l’emmerde. On regarde ensemble les photos de la dernière rando. Elle continue de sourire pour ne pas perdre la face. Dire au revoir et chao. À plus. Une fois dans l’ascenseur, vite trouver un autre plan. Appeler les copines. Allo, oui, vous êtes où ? Je vous retrouve dans un quart d’heure.

Et puis un homme surgit. Un autre. Je vais manger avec des copains. Tu veux venir avec moi ? ben oui je veux. Les hommes sont interchangeables. Vite rappeler la copine. La laisser en plan.
Encore combien de plans ? plans foireux pour se sentir vivante.

Salle d'attente.1.


Salle d’attente.1.

Elle met son infusion aux micro-ondes. Deux minutes. L’écran affiche 1 minute 25. 35 secondes ont passé. Déjà ou seulement ? Petit moment de solitude au quotidien. Il est 7h47. Beaucoup de choses à faire. Oui bien sûr, toujours. Mais tout se complique.

Les annonces d’appartement en vrac sur le sofa, les factures à payer, la vaisselle à ranger, les formulaires à remplir, les armoires à vider, les romans à lire, les DVD à voir. Nausées, vertiges. La camomille infuse un peu plus tôt que d’habitude. Une cigarette de plus, un peu de temps à griller. Laisser passer.

Les petites choses remplacent les grandes. Impression d’efficacité. Remplissage. Vider le cendrier. Aller faire pipi. Allumer et éteindre les lumières. Bouger une chaise. Tendre le drap sur le lit. Ouvrir, fermer la fenêtre. Ecouter les messages du répondeur. Vérifier son sac pour demain. Faire un tas avec des choses. Ramasser les chaussettes, les mettre dans la panière à linge sale. Changer de disque.

Et puis attendre. Attendre que la camomille fasse son effet. Retourner aux toilettes faire pipi. Mettre la tasse dans l’évier. Décider enfin d’aller se coucher. Régler le réveil. Puis le second. Se passer du baume sur les lèvres. Sur le coeur, c'est plus difficile. Masquer ses yeux. Serrer un lapin rouge contre soi. Laisser un oreiller libre pour l’absent. Et puis attendre. Bonne nuit. A demain.
…………………….....................................................................................................
Se relever. Fumer une autre cigarette. Se relaver les dents. Et puis les mains. Vérifier les réveils. Fermer les yeux. Accommoder les draps. A redemain.
……………………………………………………………………………………................................…
Rituel d’une salle d’attente en forme d’appartement. Patience et remplissage du vide. Les montagnes bougeront-elles cette nuit ? Les rivières changeront-elles leur cours ? Pleuvra-t-il demain des crapauds-princes ? Pour l’amour de soi, s’il vous plait, dites-lui que oui.

Supplique du petit soir, bonsoir…Il est 8h09.

 

martes, 25 de septiembre de 2012

Chaleur.



 
On se glisse dans le hamac. Un jour complet dans un hamac. Fermer les yeux et se sentir absorbé. Ouvrir un œil, le refermer. Le cou colle. Le tropique enseigne à tous l’économie du geste. Le cerveau s’englue. Les connexions fondent. La chaleur est une enclume qui repose sur l’estomac. Le soleil effondre.
 
Les mailles du hamac s’enfoncent peu à peu dans la chair. Attendre l’heure suivante qui précèdera la suivante. Le rouleau compresseur passe.
 
Mais l’heure suivante est identique ou pire. Pas de rémission. Alors on espère la fraîcheur de la nuit ou la brise ou la pluie. Ni les unes ni les autres n’arrivent.
 
Les jointures des bras, des cuisses, des genoux suintent.
La pluie qu’on n’attendait plus finalement se prépare. Trois grosses gouttes et puis d’un seul coup des seaux. La rue devient un torrent d’eau chaude. Les enfants sortent et se douchent sous les chéneaux qui dégueulent.
 
L’averse passe. La température n’a pas baissé d’un degré. L’asphalte bout. Les bouffées de chaleur sont encore plus puissantes. On a ouvert le couvercle de la cocotte-minute.
On prie pour que le soleil disparaisse.
 
Et puis d’un coup, il fait nuit. On pourrait croire que quelqu’un a appuyé sur l’interrupteur On/Off. L’ampoule s’est éteinte. Mais la porte du four est restée ouverte.
 
On se traine jusqu’au lit. Les draps exhalent une odeur de sueurs réchauffées. On allume le ventilo. Il pouffe comme un asthmatique, s’élance doucement puis vrombit. C’est encore lui le moins fainéant de tous. Il remue l’air comme il peut de ses petites pales. L’air arrive sur les joues, maintenant on a l’impression qu’on a branché un sèche-cheveux.
Pas un jour, pas une heure, pas une minute de répit. Tout au plus trente secondes quand on ouvre la porte du frigo.
La fatigue est lourde et moite. Passer et repasser la paupière sur l’œil est exténuant. C’est l’effort de la journée.
 
On s’allonge. Chaque millimètre de peau écrase le matelas. Les murs sont lézardés, pelés. La chambre a des allures de débarras ou plutôt de cellule. Les fringues et les serviettes suspendues aux clous, les chaussures en désordre sous les lits. Aucune lumière ne pénètre ici, une pièce borgne. La seule ampoule diffuse une lumière pâle qui s’essouffle et n’atteint même pas les recoins de la pièce.
 
Sur un semblant d’étagère, les rasoirs, les déodorants, les savons sont balancés en vrac. Les rouleaux de papier hygiénique traînent avec les chaussettes en boule.
 
Etendue sur le lit dans une chemise de nuit à fleurs turquoise, cette femme semble une poupée de chiffon couchée dans un dépotoir. On pourrait croire qu’on l'a séquestrée. Mais non, elle est échouée volontaire. Abandonnée.
 
Chaque coup a ajouté une fissure au cristal de son âme. Un coup supplémentaire et elle vole en éclats. Elle préférerait se coucher dans une boîte remplie de copeaux et écrire sur le couvercle le mot FRAGILE en peinture rouge. Elle tremble comme la dernière feuille d’un arbre.
 
Rien de plus.
 

 

 

Télescopage.







Sur la côte caraïbe. Quelque part dans un quartier qu’on dit populaire. Un brouhaha se fait entendre dans toute la rue. Mélange de gosses qui pleurent et d’émission de radio. 

Les bonnes femmes ont le balai à la main. Il est 10h33 et elles gratouillent les mégots devant leur porte. Elles font des petits tas de poussière. Avec nonchalance. La vie s’écoule doucement. Sous la chaleur accablante. Tous les jours la même. Sans la possibilité d’un recours en grâce. Une bicyclette passe. Vendeur d’avocats ou de citron ou de casseroles. Ou de serpillère. Ou de billets de loterie.

Et elle, elle est là, écrasée sur le trottoir comme une guanabana. Elle a atterri là sans savoir pourquoi. Elle est assise devant une maison qui n’est pas la sienne, dans la rue d’une ville qui n’est pas la sienne, dans un pays qui n’est pas le sien.

Elle est déconnectée de toute appartenance, de tout signe qui la rapprocherait de son enfance.

Mais tout n’est pas complètement étranger dans ce décor d’autre monde.

L’odeur des draps sales quand on entre dans la chambre lui est tellement familière. Et les petits bouts de savon qui traînent épars sur le bord du lavabo et qui serviront encore jusqu’au dernier gramme. Ou bien les autocollants sur les murs pour masquer les trous, les tables à trois pattes, les armoires en plastique à fermeture éclair déraillée, les calendriers périmés accrochés au mur, les ampoules dénudées, les peintures écaillées et la crasse dans les coins.

La pauvreté a une esthétique universelle remarque-t-elle.

A l’intérieur, le ventilo continue de vrombir. Il fait tourner ses trois petites pales bleu layette. Il rêve peut être d’être un hélicoptère. C’est vrai on ne sait pas à quoi rêvent les objets.

Elle a l’impression de ne rien foutre, l’impression du « y a mieux à faire »et en même temps l’impression du «  y a rien d’autre à foutre ».

Et puis, elle se retrouve dans l’espace-temps d’avant ses six ans, d’avant son entrée à la grande école, d’avant son entrée dans le monde tout simplement, puisqu'elle n'était pas allée à la petite école comme les autres.

Elle  se souvient des après-midi passées aux côtés de sa grand-mère et de sa mère. A les regarder coudre et tricoter, à se remplir la panse de tartines de camembert, de café au lait …de clafoutis aux cerises en été.

Les après-midi se ressemblaient et les jours s’enchaînaient. Elle cherchait de nouveaux dessins à commencer dans son bloc à colorier. Elle cherchait les feutres qui fonctionnent dans la grande mallette jaune, ceux auxquels elle n’avait pas oublié de remettre le capuchon. Elle montait sur les genoux de sa mère. Elle contemplait les deux grosses mains rouges avec l’alliance incrustée dans la chair. Ces mains rongées par les acides des produits ménagers. Ces mains qui essoraient, qui rinçaient, qui frottaient et faisaient disparaître la crasse des autres, les autres qui pouvaient payer une femme de ménage.

…ces mains qui aujourd’hui ne sont plus.

Ces mains, elle les regardait un moment courir sur les aiguilles à tricoter comme deux grosses araignées. Puis elle glissait sous la chaise et elle observait le fil de laine qui passe. Et la pelote sur le sol avait des à-coups, des soubresauts, un lent, un lent, trois rapides, un lent, un lent, deux rapides.

Des fois, il y avait plusieurs pelotes qui dansaient en même temps, ensemble.

Parfois elle attrapait le fil, elle le laissait glisser et puis crac, elle le stoppait net. Elle entendait que ça gueulait là-haut. Elle laissait passer le fil de nouveau entre ses doigts et crac, nouveau stop, nouveau coup de gueule. Elle découvrait et étudiait l’enchaînement des causes et des conséquences. Action réaction.

Elle avait cinq ans et elle ne savait pas que c’était ça le bonheur.

Elle réussissait  encore à se relever après une arrivée de toboggan ratée. Elle s’étalait de tout son long parce qu'elle avait essayé un nouveau truc, genre : descendre sur le ventre, tête en avant mais sans les mains pour la réception.

En deux secondes elle était relevée. Coup d’œil à droite, coup d’œil à gauche, personne ne s’est rendu compte. Vite il faut remonter à l’échelle. Et zut, elle s’est arraché les croûtes sèches des genoux, casse-gueule de la semaine dernière. Ca fait une petite rivière rouge qui descend au fond de la chaussure. Tant pis. On continue. Ce soir, sa maman lui mettra du rouge qui ne pique pas.

Aujourd’hui, elle aimerait bien être la fille de quelqu’un. Ou bien la maman de quelqu’un.

Alors prête pour un nouveau tour de toboggan ? Avec ou sans casse-gueule au final. Mais il n’y a personne pour la relever, pour lui coller un sparadrap. Elle le sait. Alors va-t-elle faire la queue en haut de l’échelle. Non ? …Et ben si.

Tiens le vendeur de citron repasse devant la maison qui n’est pas la sienne.

Toujours assise sur le même trottoir depuis trois semaines. En face de la tienda La Protegedora.La vie de quartier continue, toujours égale à elle-même. Les gens passent et se croisent, tous sont à la recherche de mille pesos. D’autres sont à la recherche du temps perdu, mais ils appartiennent à un autre continent.

Les femmes promènent leur parapluie sous le soleil. On croirait de gros ballons de couleurs vives qui se déplacent en dansant.

Les petites filles sortent du collège, uniformisées, en tablier à bretelles. A carreaux bleu ciel.

Avec leurs nattes, on dirait Laura Ingalls sous les tropiques. Sauf que leurs yeux lancent une mitraille noire.

Le vendeur de guayabas arrête son chariot. Il compte son argent. L’odeur du fruit chaud cingle le nez.

Le ciel est rayé de fils électriques. Les chiens pissent.

Maintenant dans la chambre, elle s’allonge en chien de fusil sur le lit, le ventilo tourne les pages de son cahier. Automatique. Elle voit passer son écriture à toute vitesse. Page, page, page, puis il se referme alors apparaît la couverture à cœurs roses et rayures bleues. Deux secondes de répit et tout reprend. Page, page, page, couverture. Page, page, page, couverture. Pause. Page, page, page, couverture…

Des mots en boucle, la vie en boucle.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

sábado, 15 de septiembre de 2012

Dépression.


Dépression.

 


Il est scotché au fond de son lit. Il regarde les romans posés sur la table de nuit. L’à-quoi-bon l’envahit. Aucune envie ne se présente ou plutôt mille se présentent mais aucune ne le lève. Il se retourne, repense au rêve qu’il vient de faire. À peine parti, il essaie de le retrouver. Des images violentes apparaissent. Il donne des coups à trois jeunes filles en sari. Elles sont magnifiques. La soie est douce. Les poings tombent, les mains arrachent les cheveux. Le sang coule mais n’est pas suffisant. Il se retourne, attrape l’oreiller, glisse ses bras en dessous, recherche la froideur des draps, essaie de la goûter comme dans l’enfance. Elle est insipide et ne réussit à réveiller aucune sensation chez lui.

Il se lève après trois heures de recherche. Il devient un automate. Il se prépare des œufs. Ils ont le goût du polystyrène. Il se sent prêt à aller se coucher. Il aimerait sortir mais il est retenu dans l’aquarium.

Le ciel est à l’automne. Ça lui donne une excuse. Il reprend son souffle et retourne uriner pour la cinquième fois. Les angoisses montent, gonflent, s’évanouissent en va et vient. Elles masquent les troubles des profondeurs.

Une personne en chair et en os pourrait peut-être l’arracher à sa torpeur mais qui viendra…personne. Il baisse les bras et fume un joint. Le monde alors se disloque davantage. Tout se transforme en carton-pâte y compris son propre corps. Il le regarde étrangement, sans sentiment d’appartenance.

Il reste là deux heures encore sans bouger. La dépression est le verrou qui l’empêche de sombrer dans le délire psychotique. Rien ne le soustrait à sa mélancolie.

Dans un effort constant, il se lève et entre dans la douche. Il espère de l’eau un miracle. Une caresse sur son corps, des dizaines de petites mains. Très vite disparues. Et puis il se savonne. L’enveloppe reste étrangère, insensible.

Si fatigué d’être lui-même, il est absent.

Il s’habille et sort très vite dans la rue, le réel va peut-être enfin poindre. Les rues sont désertes, sales, incompréhensibles.

La laideur de la ville lui saute à la gorge. Il essaie de faire diversion, marche encore et encore. Le sang s’échauffe et il commence à transpirer. Il espère redevenir ce qu’il sait de lui. Rien n’y fait. Il se dédouble. Il craint pour lui et préfère courir, retourner à l’appartement, que personne ne le voit, que personne ne sache.

Il se couche de nouveau sur le canapé, préfère ne pas regarder par la fenêtre. Il ne sait pas ce qu’il faut attendre.
La peur imminente de mourir arrive par surprise. Elle ressemble à l’instant où l’on glisse dans un entonnoir. Un vent glacial descend du haut de son crâne jusqu’aux épaules. C’est la peur d’avant l’impact, comme la chute de l’ascenseur, le glissement d’une voiture avant l’accident, la secousse d’un tremblement de terre. Mais cet instant si court dans le réel s’étire chez lui comme un chewing-gum. Il s’étire des heures entières en variant l’intensité. Magnitude 5.5, 4.2, 3.7, 9.2 et ainsi de suite.

Le corps est anesthésié, congelé puis grillé dans l’huile d’une poêle, submergé dans l’essence.

Les sens ne peuvent plus suivre.

Il se lève d’un coup d’un seul. Il range ses vêtements comme s’il ne lui appartenait pas, il les plie, fait des piles. Il a l’impression de mettre en ordre l’armoire d’un mort le jour qui suit l'enterrement.

Il se secoue, prépare un café et puis s’embue de nouveau. La nuit tombe comme un soulagement. Il peut retourner se coucher. Disparaître jusqu’à demain.

La culpabilité pointe son nez. La norme ne permet pas de se coucher à six heures du soir. Il retourne vider sa vessie. Un peu moins de lest. Trop peu de lest. Il s’évapore, panique à l’idée de devenir un gaz, de se perdre. Il essaie de rattraper ses molécules qui foutent le camp.

Il se rassoit sur le canapé, suffoque un peu. Il se pince.

Les trous d’air lui donnent des hauts le cœur. Il s’allonge, se rassoit, se rallonge, se lève d’un bond, passe le balai et vide la poubelle.

La douleur fantôme passe et repasse. Rien ne bouge dans l’appartement.

Il prépare un café, remue et remue les casseroles les unes contre les autres dans le placard. Faire du bruit, s’accompagner de bruit.

Il se rassoit sur le canapé, le canapé comme un aimant. Il fume une cigarette qui lui donne la nausée. L’estomac se retourne un peu, sans plus.

Il décide de téléphoner à un ami. Conversation banale qui anime pendant dix minutes la salle. Les mots ordinaires résonnent. Le réel revient enfin comme une pause cotonneuse, un refuge.

Il raccroche. Le vent froid s’écrase de nouveau sur son crâne, glisse derrière les oreilles, dans le cou.

Il a réussi à résister jusqu’à dix heures. La norme l’autorise à se coucher.

Depuis l’oreiller, il regarde les romans sur la table de nuit. Il tend le bras, abandonne. Il le tend de nouveau et dans l’effort ouvre le premier livre.

Il lit, sans comprendre, des suites de mots indistincts. Pas plus de goût que les œufs en polystyrène.

Il éteint la lumière. un gouffre s’ouvre sous lui avec l’apparition de l’obscurité. Il tressaille un peu. Il se retourne, serre l’oreiller et fait comme si de rien n’était. Il essaie de l’ignorer comme une personne qu’on n’a pas envie de voir.

Il attend le sommeil. Heureusement, il arrive. Enfin le salut.

 

 

Modificaciones Corporales.


Modificaciones  Corporales


Libertad
El cuerpo es un contenedor inestable. Se modifica con el tiempo, con los accidentes, con las enfermedades. Se nos escapa sin cesar. Para apropiárselo, controlarlo, tenemos a veces la necesidad de modificarlo para volverse creador de esta figura que nos impusieron desde el nacimiento. Somos prisioneros de este empaque y actuamos sobre él para liberarnos.

Existencia

El cuerpo se vuelve materia de creación y las modificaciones a él infligidas están cargadas de significación. El dolor hace parte del proceso. Nos permite tomar conciencia de nuestra propia existencia. Durante el acto, llega la sensación brutal de estar presente, aquí y ahora.

Espacio, tiempo

  
 
La modificación trae una nueva identidad, define nuevamente el ser. El exterior modifica el interior. Las fronteras adentro- afuera cambian, el antes-después se reafirma. Nunca el cuerpo será el mismo. Se parece a la perdida de la virginidad.Es un rito de pasaje, una nueva construcción del yo.

Vegetal, animal, humano

 
El cuerpo es nuestra parte animal, el enlace con la naturaleza. Cuando lo modificamos, tiende a ser más humano, se vuelve cultura. Decidí intervenir frutas y verduras para darles un estatus humano bajo la acción del bisturí. Cuando eran vegetales, alimentos, no les prestaba atención, las cortaba en arandelas para echarlas en la olla. Era una modificación corporal pero sin significación, sin más consciencia. Cuando tatúo una mazorca, lo vegetal desaparece poco a poco y el acto le confiere humanidad. Cuando mi mano no es segura, me duele por ella.

Transgredí las normas y crucé la fronteras: cuando la empleada descubrió las verduras escarificadas en la nevera se llevó un gran susto “¡Debe ser obra del demonio, me niego a cocinarlas!”
 


Modifications Corporelles.


Modifications corporelles.

Liberté
Le corps est un contenant instable. Il est modifié par le temps, les accidents, les maladies. Il nous échappe sans cesse. Pour se l’approprier, le contrôler, nous avons besoin parfois de le modifier et ainsi, devenir le créateur de cette figure qui nous fut imposé dès la naissance. Nous sommes prisonniers de cet emballage et nous agissons sur lui pour nous libérer.

Existence
Le corps devient matériau de création et les modifications que nous lui infligeons se chargent de signification. La douleur fait partie du processus. Il nous permet de prendre conscience de notre propre existence. Pendant cet acte, nous avons la sensation brutale d’être présent ici et maintenant.

Espace, temps
La modification apporte une nouvelle identité, redéfinit l’être. L’extérieur modifie l’intérieur. Les frontières dedans – dehors changent, l’avant – après se réaffirme. Le corps ne sera plus jamais le même. On peut le rapprocher de la perte de la virginité. C’est un rite de passage, une nouvelle construction du moi.

 
Végétal, animal, humain
Le corps est notre partie animale, le lien avec la nature. Quand on le modifie, il devient plus humain. Il s’acculture. J’ai décidé d’intervenir des fruits et des légumes afin qu’ils obtiennent ce statut d’humain sous l’action du bistouri. Lorsqu’ils n’étaient que végétaux, je ne leur prêtais pas attention. Je les coupais en rondelles et les jetais dans la casserole. C’était également une modification corporelle mais sans signification, sans conscience. Quand je tatoue un maïs, le végétal disparait peu à peu et l’acte lui confère une humanité. Quand ma main n’est pas sure, je crains de faire souffrir le légume.

J’ai transgressé les normes et j’ai traversé une frontière : lorsque l’employé de maison a découvert les légumes dans le réfrigérateur, elle a pris peur : «  Ce doit être l’œuvre d’un démon, je ne les cuisinerai pas ! »

 

martes, 4 de septiembre de 2012

Un antro llamado El Polo.

O cuando los buseteros se transforman en estrellas del Glam.


 
  

Domingo por la noche. Bogotá lluviosa como siempre. Una calle de mala fama. Basura tirada al piso. Hombres tirados al piso. Una de cada dos baldosas está despegada. Unos transeúntes pasan. Otros se eclipsan rápidamente.

Entran por una puerta sin anuncio. En el antro de las transformaciones. Antro que se trasladó por obligación hace unos años.
La iglesia al lado no podía soportar más la presencia de esos seres extraños. Finalmente, el amor de Dios no alcanza para todos como lo venden. Otra estafa.

 
A dentro, las paredes están cubiertas de discos en vinilo y de una capa de nicotina acumulada desde hace treinta años más o menos.
Hombres, hombres y más hombres. Mucha testosterona reunida.
Mayores, vecinos, señores, cachacos, varones, tenderos, jóvenes, feos, elegantes, viriles, porteros, barrigones, cara-bonitas, padres de familia, amanerados…


El lugar se llena. Ochenta por ciento de humedad. Una hora de aguardiente después, el volumen de la música sube.
Las bufandas de lana que encerraban los cuellos caen sobre los brazos y se transforman en boas femeninas.
Los clientes sacan los abanicos de los bolsillos y todos empiezan a botar plumas. Una centena de pájaros de noche arrullan. Delicados.
 
 
En el escenario de un metro cuadrado se sube uno o una, pues como quiera definirse. Canta playback:
 
yo soy la María María
no ando con razones razones
llevo en mi cuenta por cuenta
cinco batallones....”

 
Todos repiten el coro. Entusiasmados. Se quedan pensando en los cinco batallones de vergas y culitos, listos para ser atendidos. Intercambios de miradas. Acercamiento. Desaparición en el baño.
 
Otro-otra se sube en la plataforma y canta música pa’ planchar, con el dedito levantado. Aleja el cable del micrófono con un suave movimiento del codo. En top y con barriga afuera. ¡Mucho éxito! ¡Divina!
 
Es el turno del cachaco. Una banda sonora extraterrestre suena: ópera japonesa. Gritos y susurros. Aaaaahhiiihhuuuuuhh.

¡Y se lo sabe todo de memoria! Nueve minutos. Una hazaña.
¿Cuántas horas de ensayo pasó frente al espejo?
¿Y cuántos años lleva esa mujer encarcelada en este cuerpo de hombre?
¿Cuántos años ocultándola?
¡Y todos los que le quedan por delante!
Una esquizofrenia tropical. Un ser fracturado entre Bruce Willis y Lady Gaga.
 
Pero para su salvación, cada domingo por la noche, la diva, la reina, la muñeca saldrá a flote. La estrella del Glam frustrada y su belleza radiante se dará a conocer.
 
Resplandor bajo las luces de neón, entre cuatro paredes amarillas, por un público exclusivo.

Todas reunidas.
 
¿Quién las inmortalizará como un ramo de flores de plástico?
 
Rosas, Margaritas, Narcisos...Las flores de las noches escondidas habitan mi corazón.
 
 
Especial dedicación a Jean Genet.


Traducción Nadia Rios.