domingo, 25 de noviembre de 2012

Toussaint.


Toussaint.

 

A la Toussaint tout se sait.

Les morts sont maintenant des noms sur des papiers de soie pliés en sept. Ils ne sont rien. Vraiment plus rien. Devant elle se dresse l’autel. Sur une malle de voyage, des bougies, de l’encens, des cailloux, une graine, le silence, un bonsaï, une plante qui s’ouvre et se referme, les arcanes du tarot, une spirale.

Les morts ne sont plus, certes, mais elle s’est enchaînée aux morts. Elle est une auto-condamnée. Les morts, croit-elle, lui ont donné l’ordre de courir. Courir toujours car ils lui rappellent sans cesse que le chronomètre est lancé, que le compte à rebours est déclenché. Lorsque les autres marchent, lorsque les autres se reposent, elle court.

Elle parcourt le monde, le boulet des morts accroché aux pieds. Personne ne peut la suivre, ni la rattraper, ni l’attraper, pas même la mort. Et pourtant si, un jour, le jour viendra. Alors en attendant, elle s’éreinte. C’est la peine correctionnelle qu’elle s’inflige. Elle nage à contre-courant. Elle est une pauvre petite poule d’eau dans la tourmente d’une crue.

Elle est l’énergie des morts. Leurs yeux, leurs bras, leurs jambes. Ils ne savent pas qu’ils ne la laissent pas en paix. Elle a prononcé des promesses sur leur cercueil. Elles doivent être tenues. Je serai tes yeux, je serai tes jambes, toi qui n’en a plus. Et elle n’a qu’une parole.

Mais lui ont-ils vraiment demandé quelque chose. Non rien, à aucun moment. Elle a mis des paroles dans leur bouche morte, des souhaits dans leur tête morte, des désirs dans leur poitrine morte.

Paroles, souhaits, désirs qui  n’ont jamais existé.

Alors elle prend entre ses doigts chaque papier plié. Elle lit le nom écrit à l’intérieur, articule lentement chaque syllabe, allume le briquet et met le feu. Des petites flammèches colorées lèchent les lettres. Le disparu disparaît une nouvelle fois.

Qu’ils aillent donc en paix pour qu’elle puisse enfin se reposer.

Elle renonce. Elle résilie les contrats. Elle ne dit pas « Allez-vous faire foutre les morts ! », mais un peu quand même.

Quoiqu’on dise, on en dit toujours plus que ce qu’on voulait dire.

Et à la Toussaint tout se sait.