domingo, 21 de abril de 2013

Un bouge appelé El Polo.

Ou quand les chauffeurs de bus se transforment en Star du Glam.



 

Dimanche la nuit. Bogota la pluvieuse comme toujours. Une rue de mauvaise réputation.

Poubelles à la renverse sur le sol. Hommes à la renverse sur le sol. Une dalle sur deux est décollée. Des piétons passent. D’autres s’éclipsent rapidement.


Ils entrent par une porte sans enseigne. Dans le bouge des transformations.
Bouge qui a été transféré par obligation, il y a quelques années. L’église d’à côté ne pouvait plus supporter la présence de ces êtres bizarres.
Finalement, l’amour de dieu n’est pas donné à tous comme ils le vendent. Encore une arnaque.


A l’intérieur, les murs sont couverts de disques vinyles et d’une couche de nicotine accumulée depuis une trentaine d’années environ.
Des hommes, des hommes et encore des hommes. Beaucoup de testostérone réunie.

Des vieux, des voisins, des messieurs, des couillus, des épiciers, des jeunes, des moches, des élégants, des virils, des concierges, des mignons, des pères de famille, des efféminés…

Le lieu se remplit. Quatre-vingt pour cent d’humidité. Une heure d’aguardiente plus tard, on monte le volume de la musique.
Les écharpes de laine qui encerclaient les cous tombent sur les bras et se transforment en de féminins boas. Les clients sortent de leur poche un éventail et tous deviennent folles.
Une centaines d’oiseaux de nuit roucoulent. Délicats.

Sur la scène d’un mètre carré monte l’un ou l’une, enfin comme il lui plaît de se définir. Il/elle chante play-back :

«  Je suis la Maria, Maria
Je n’avance pas avec raison, avec raison
J’ai à mon compte, à mon compte
Cinq bataillons »

Tous répètent le refrain en chœur. Enthousiastes. Et ils restent rêveurs en pensant à ces cinq bataillons de bites et de petits culs, prêts à les recevoir.

Echanges de regards. Rapprochement. Disparition aux toilettes.

Un autre-une autre monte sur la plateforme et chante une soupe de la radio, avec le petit doigt en l’air. Avec un doux mouvement du coude, il éloigne le fil du micro. En brassière. Avec le ventre à l’air. Succès garantie! Divine!

C’est le tour du Bogotanais. Une bande sonore extraterrestre retentit : un opéra japonais. Cris et susurrements. Ahuiahuiiiiiiiiiaaaauuuuiiiiiii. Et il connaît le morceau par cœur en entier! Neuf minutes. Un exploit.

Combien d’heures a-t-il passé à répéter devant son miroir?
Et depuis quand cette femme  vit-elle emprisonnée à l’intérieur de ce corps d’homme?
Combien d’années à la cacher ?
Et combien d’années encore à venir ?

Une schizophrénie tropicale. Un être fracturé entre Bruce Willis et Lady Gaga.

Mais, pour son salut, chaque dimanche soir, la diva, la reine, la poupée fera surface,… la star du glam frustrée et sa beauté rayonnante se dévoileront.

Splendeur sous les néons, entre quatre murs jaunis, pour un public exclusif. Toutes réunies.


Qui les immortalisera comme un bouquet de fleurs en plastique?
Roses, Marguerites, Narcisses…Les fleurs des nuits secrètes habitent mon cœur.

Spéciale dédicace à Jean Genet.

jueves, 18 de abril de 2013

Nuit berbère.


 
 
Nuit berbère.

Djebel Sargho. Nuit de Noël.

Les mules, pattes liées, remuent la poussière et mangent leur grain avec une allure de chirurgien. Masque sur les naseaux. Les Berbères s’emmaillotent la tête dans de grandes toiles, cherchent les vivres et les ustensiles dans les balluchons détachés du dos des bêtes. Ce sont des ombres qui glissent, élastiques, dans l’obscurité, réjouies de pouvoir manger une fois le soleil couché, préparent la harira et les tajines. Epaules contre épaules, en cercle, les genoux repliés, leur regard perce la nuit. Les billes blanches soulignées de khôl lancent des éclats de miroir. Sous les étoiles, les plateaux d’argent et les casseroles en aluminium étincellent aussi. On les lave, accroupi devant les baquets, en économisant chaque goutte d’eau, les bidons en plastique soigneusement refermés.

Le troupeau de chèvres se rapproche en même temps que la peur des ténèbres.

Le Scorpion, fabuleux, darde sa pointe nue, et s’étend de tout son long sur le baldaquin du ciel.

Un par un, les hommes écartent la fente et pénètrent la rondeur de la tente.

Dans la tiédeur du thé, ils récupèrent lentement. La toile les protège de cette démesure qui vibre au-dehors, de cet «  à perte de vue », fascinant, épuisant. Elle les met à l’abri de ses éléments sauvages qui fouettent les sangs. Le monde autour d’eux s’est maintenant rétréci. Il a repris taille humaine.

Les images du jour se révèlent peu à peu sur les rétines: les pitons rocheux, les goulets, les plaines gigantesques apparaissent d’abord flous puis nets, parcourus, reconnus, dominés.

Les muscles se détendent. La sécheresse fendille les commissures des lèvres, le coin des yeux. La peau se fait cuir. Les ailes du nez, les pommettes se craquèlent. De nouvelles cartes de géographie se dessinent.

On remplit son estomac en silence. Les mains font des allers retours jusqu’à la bouche, tranquillement.

Assise sur les tapis brodés, la femme blanche écoute la tempête qui s’annonce et les chèvres qui bêlent.

Les guirlandes électriques, les grands sapins harnachés de boules, les papillotes au chocolat, les bocaux de foie gras, les cadeaux joliment enrubannés, les canapés en velours, les feux de cheminée, les familles qui s’embrassent sous les boules de gui ont disparu de sa mémoire…le réveillon s’est évanoui, comme un mirage à peine aperçu, ou de l’eau avalée par le sable.

Il aurait pu naître ici l’enfant prodige. Dans ce désert. Entre les mules, les chèvres et les Berbères, sur des couvertures de grosse laine.

Mais c’est le reg et son peuple qui ont pris place. Immense et humble.

 



domingo, 14 de abril de 2013

Quelques lignes.


 
 
Lire des lignes et les relire sans cesse, sans en croire ses yeux. Tout est là, une personne a réussi à mettre en mots ce que vous ressentez depuis tant d’années. C’est une expérience très commune. Qui ne l’a pas vécu ?
Mais cela reste extraordinaire pour soi. Et nous lisons des kilomètres de signes à la recherche de ces quelques lignes qui resteront graver. Pour nous.
 
Et celles-ci pour moi :
J’aurais dû me méfier cette nuit. Je n’aurais pas dû négliger les signes annonciateurs du malheur de vivre. Je ne possède rien d’autre que ma mort, mon expérience de la mort pour dire ma vie, la porter en avant.
Il faut que je fabrique de la vie avec toute cette mort. Et la meilleure façon d’y parvenir c’est l’écriture. Or celle-ci me ramène à la mort, m’y enferme, m’y asphyxie. Voilà où j’en suis : je ne puis vivre qu’en assumant cette mort par l’écriture mais l’écriture m’interdit littéralement de vivre. Je fais un effort, je m’arrache les mots un par un.
Jorge Semprun. L’écriture ou la vie.

 

 

sábado, 6 de abril de 2013

La crèche est vide.


Allongée sous le ciel d'une ville quelconque.

Les bonnes résolutions de la nouvelle année volent au ras des pâquerettes. Ou plutôt au ras de la ceinture. Elle compte et recompte ses amants, autant de touches que celles du piano qu’elle écoute. Elle effeuille, effeuille les hommes et les marguerites.
Combien d’amour en bouton jamais éclos ? Combien de pantalons abandonnés au bas de son lit? Écorce d’une chair blanche, noire ou mate.

Aujourd‘hui, c’est le frère d’untel qui s’en va au petit matin et demain…

Dans la terre repose un petit embryon. Une plante s’en nourrit. Un caillou blanc le recouvre. Minuscule pierre tombale pour un non-né(e).

L’éternelle orpheline qu'elle est n’a pas voulu qu’il reste sans père. L’enfant de la honte ne naîtra pas. Regrets amers d’une mère avortée. Elle était pourtant si près. Son ventre aurait pu enfler. Démesurément, joliment, comme une grosse lune accrochée à son corps. Mais seule, elle serait restée.

Jolie maman au désespoir, elle a tué son enfant gentiment, tout doucement en le berçant dans son ventre, en lui parlant à voix basse, en le rassurant entre chaque contraction.
Il est mort le divin enfant, entre Noël et Jour de l’an. Arrosons-le de champagne. C’est pour lui sa dernière coupe.

La crèche est vide à présent. Elle n’a plus qu’à compter sur sa bonne étoile. L’étoile de ses nuits blanches.
Tout au creux de ses draps, elle cherchera encore et plus que jamais, les larmes qui ne viennent pas.

Le péril est sa demeure. Malheureusement.