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Journal
de compostelle.4.
29
juillet samos- Ferreiros.
Aujourd’hui,
je vole accompagné de Dario l’italien. On se raconte nos points de vue sur
l’amour. On est toujours d’accord avec les autres quand on parle d’amour. La
faute on l’attribue toujours au partenaire. On s’entend toujours lorsqu’on
parle entre copain mais si de copains on passait à concubins alors on ne
s’entendrait plus. Curieux. A croire que le sexe brouille les pistes de la compréhension.
Le sexe ou l’engagement ? Ou bien l’attachement, les sentiments ?
On
trouve un rat mort sur la route. On le pose sur une pierre en plein milieu du
chemin. Dans une bulle on écrit « animo ». On se cache pour regarder
la réaction des pèlerins qui arrivent derrière nous. Blague d’enfants. On
trouve à jouer avec pas grand-chose sur le chemin, puisqu’on emporte si peu de
chose.
et
je me repete : j’ai trouvé ma voie. je sais ce que je vais faire pendant
les vingt prochaines années : campus stellae, campus stellae, campus
stellae…
et
on se demande : est ce qu’un evenement exterieur va survenir ou bien tout
sera interiorisé ?
quand
j’ai fini avec une preoccupation, je m’en invente une autre. j’ajoute toujours
un peu d’epices special chianlit á la vie qui est déjà bien compliqué. j’aime
bien les saveurs rehaussées.
30 juillet Ferreiros-Ligonde.
Je me suis levée tôt. J’ai perdu les italiens. Je
regarde souvent en arrière. De nouveau seule.
au debut je ne voyais pas la difference avec une autre
rando.. tout me semblait banal et meme beaucoup moins bien qu’une rando en
pliene nature. la marche sur bitume, les ponts d’autoroute , les contournements
de zone indus, manger des trucs degue au supermarché. il a fallu une dizaine
d’etapes pour que je m’impregne de l’esprit du chemin.
Je fume une cigarette à côté d’une fontaine. J’en
profite pour parler avec les pèlerins assoiffés qui viennent remplir leur gourde. Point stratégique
de la communication.
Je continue la route seule et puis, au loin,
j’aperçois un pèlerin á quatre pattes dans l’herbe du bas-côté. Il se roule,
agite ses pattes en l’air. J’arrive à son niveau, m’arrête. Il est hilare.
« Ça va ? Ouais je suis trop heureux, trop heureux. C’est le
cinquième trèfle á quatre feuilles que je trouve depuis que je suis parti. Le
chemin c’est que du bonheur ! »
Je constate que le chemin agit sur les consciences
comme la meilleure des ganjas. Il risque d’y avoir de la friture sur la ligne.
31 juillet Ligonde – Melide.
Melide la capitale du poulpe parait-il. On est
pourtant loin de la mer. Je suis loin de ma mère aussi mais je transporte avec
moi ses petites pierres de cimetière.
Je fais un bout de chemin avec des espagnols qui
m’accueillent comme une espagnole. On fait des pauses trois bières. Tout ça me
va bien.
J’ai remarqué que le chemin est kitsch. Kitsch au sens
d’émotion collective comme l’a défini
Milan Kundera dans son essai La
Grande Marche. C’est drôle je me rends compte en l’écrivant qu’il y décrit
également une marche, et qui plus est, une marche pour la paix. Le kitsch
serait donc un concept qui adhère au
fait de se déplacer tous ensemble dans un but spirituel, politique, national,
international…
« Le kitsch fait naitre coup sur coup deux larmes
d’emotion.la première larme dit : Comme c’est beau, des gosses courant sur
une pelouse ! La deuxième larme
dit : Comme c’est beau d’être ému avec toute l’humanité á la vue de gosses
courant sur une pelouse ! Seule cette deuxième larme fait que le kitsch
est le kitsch. »
Et pour conclure avec notre philosophe : « Avant
d’être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c’est la station de
correspondance entre l’être et l’oubli. »
L’épitaphe sur notre tombe nous fera bien rire ou bien
enrager, tout dépendra de notre caractère- gai ou morose- et de notre
appréhension de l’ironie du sort.
1 août Melide –Santa Irene.
32
km. je ne pensais pas que je pourrais le faire. Les rouages de mon corps se déglinguaient au bout de 25 km au début du chemin. Il est
vrai que pour un non marcheur, 7 km de plus ou de moins, ça peut sembler un détail.
Le pèlerin quant à lui éprouve dans sa chair chaque mètre. La mesure devient
une expérience tactile, tangible. Et les mètres du petit matin ne sont pas les
mêmes que ceux de l’après-midi. A l’ankylose du sommeil se substitue
l’engourdissement du froid puis vient la pesanteur de la digestion qui sera
remplacée bientôt par la surchauffe de l’après-midi puis arriveront les
tremblements de la fin d’étape. Donc il est difficile de s’imaginer ce qui se
passera dans ce supplément de 7 km. Mais il n’y a pas d’alternative possible
alors on découvre le dépassement de soi. Le mental et le physique se donnent
tout à coup la main et ce qui semblait insurmontable devient possible.
les
gens du chemin ne sont pas les memes au debut et á la fin. enfin ce sont des
termes peu appropriés : de quel debut et de quelle fin parle-t-on ?
au
debut ils sont excités comme des petits enfants la veille de la rentrée. ils
gazouillent dans les dortoirs. inexperimentés ils doublent les étapes et se
fracassent. Ou bien manquant de courage, ils sautent en bus. a la fin qui du chemin, ils ressemblent davantage á des
grands peres burines par la vie. ils savent appréhender leur fatigue. la
douleur existe toujours mais on expose plus ses ampoules á son camarade de
chambrée. il n’y a plus de soupirs ni de plaintes. on a compris que parler de
sa souffrance ne la fait pas disparaitre. et puis on a appris á faire avec.
2 août Santa Irene-Santiago de Compostella.
Le graal est au bout de l’étape. Le chemin est devenu
une autoroute à pèlerins. On passe à côté de l’aéroport. Les avions, grosses
machines de fer, qui me sont tellement familières me semblent aujourd’hui
appartenir à un autre monde.
J’entre en ville avec l’intention de chercher un
dortoir, une douche, un sandwich. Impossible. Je suis aimantée. Direction l’église.
Sans le vouloir, la pitance spirituelle passe avant l’estomac.
finalement, j’avance tout droit, attirée
irrisistiblement par cet aimant.
La foule qui envahit les rues est presque
insupportable. Les gens sont frais. Je suis liquide. Arrivée sur le parvis, l’émoi
n’est pas vraiment au rendez-vous. Je gravis les marches une à une. Je suis prête
à franchir le seuil. Je me concentre. Deux mendiants se querellent pour la
place. Je me prends un coup de tabouret dans le nez. Les grandes forces
invisibles n’ont guère envie de laisser entrer dans leur temple la païenne que
je suis.
Je me faufile et déambule sous la nef. La multitude de
touristes me fait renoncer au recueillement.
Le bas-côté est tout entier occupé par la queue des
pèlerins qui attendent leur tour pour embrasser la statue de l’apôtre. Pire que
la queue dans un banque en Colombie, un vendredi pour retirer l’argent de la
quinzaine.
Je m’assois sur un prie-Dieu. Est-ce que j’ai vraiment envie de prendre dans
mes bras cette image ? J’ai un rejet. Je ne suis pas catholique. Je n’ai
pas envie de faire comme tout le monde. Je n’ai pas envie de me prêter á ce jeu
collectif. Et en même temps, la superstition m’envahit. Je devrais peut-être le
faire pour m’attirer le bon œil. Et puis le consumérisme fait aussi entendre sa
voix : tu n’es pas venu á pied jusqu’ici pour passer á côté.
Ces arguments ne me semblent pas valables.
Alors je fais marche arrière et part à la recherche de
nourriture physique et d’un lieu de repos.
Le soir, repue et rafraichie, je retrouve les italiens
perdus il y quelques jours. On se saute dans les bras et on boit au goulot un
petit vin rouge, les fesses clouées sur les pavés de l’Obadeiro, face á
l’église.
quand je randonne dans les alpes je suis une bergere
mais sur le chemin je suis une clocharde.
et puis on parle avec tout le monde , sans peur ni
crainte. on ne les reverra pas. le microcosme devient macrocosme. les
minuscules aventures prennent une dimension nouvelle. la coccinelle qui se pose
sur ton sac, le lacet qui casse auquel il faut faire un nœud, le jambon beurre
qui tombe dans la poussiere et que tu essuies d’un revers de main.
et en m’endormant je me repete : je reviendrai,
je reviendrai, je reviendrai, je reviendrai.
Amigos, el camino engancha !
3 août Santiago de Compostella.
Je marche depuis onze jours sans m’arrêter, sans
vraiment me rendre compte du temps qui passe car c’est un autre temps qui
passe.
le chemin ressemble a un gigantesque jeu de piste, un
parc d’attraction, un camping, un camp de boyscoot, un pelerinage, une caserne,
une colonie de vacances…
Je me lève avec les angoisses liées à l’organisation du retour. Je dois choisir
une date et réserver un billet d’avion. je
souffre et me fait souffrir avec les dates. je me rends dingue toute seule. Au
lieu d’etre heureuse de ce que je suis , de ce que fais, de ce que je
decouvre…je prefere me faire du mal avec ce que je perds, avec ce que je suis
obligee de laisser derriere moi. mon passé est lá toujours presnet. j’ai
souvent mal pour les miens, pour ma sœur, pour mon neveu, pour mes freres…L’idée
du départ me tiraille. Il faut mettre fin et penser à sortir du rail. C’est
douloureux. Je m’organise. C’est fait.
Je me sens soulagée… deux heures.
Et l’angoisse revient. je me sentais enfermee parce
que je n’avais pas de billet pour sortir de santiago. j’achete un billet. je me
sens enfermée parce que j’ai en poche une date de fermeture. je suis toujours á
l’interieur d’une boite. je deviens vraiment dingue. la peur du regret me fait
tressaillir.
et alors je peux aussi mettre ce billet á la poubelle
et en choisir un autre.
Non jeter l’argent par les fenetres est un interdit
que je ne peux trangresser. tout doit etre calculé en fonction de la formule de
l’efficacité. je suis une bete du rendement.
je suis rabougrie d’indecisions. tout choix represent
un deuil dont je ne peux me guerir.
quand je reste sur place, j’envie la marche.
quand je marche, j’envie la contemplation.
et puis je continue de m’agiter, de bouger, de
trembloter par peur de la mort et de la stagnation.
le chemin est un rail bien pratique pour tous ceux qui
sont perdus comme moi. il est comme un tuteur qui soutient une plante trop
fragile pour se tenir droite elle-même.
les ames perdues se rencontrent.
Toutes les auberges sont complètes. Une grand-mère me
loue son canapé pour la nuit. On discute sur le pas de la porte. Je lui
explique en deux mots le pourquoi, la boule dans le sein, le luxe de vivre…elle
est ému aux larmes. Elle me conseille d’embrasser le saint. Il est, parait-il,
situé juste sur un champ énergétique reliant la terre et le ciel.
4 août Santiago - Negreira.
on dit qu’entrer dans les cathedrales c’est entrer
dans le ventre de la mere.
À l’aube, je passe par l’église.
Vide cette fois, je descends, remonte la nef,
j’arpente les bas-côtés, le chœur, le
transept. J’observe l’apôtre de près de loin. Il regarde fixement devant lui.
Je me décide enfin. Je monte les quelques marches et l’étreins fort. J’ai dû y
prendre gout car je fais le touret
recommence l’opération. Sept fois au total.
Je respire
profondément. Je goute mes nouvelles et reprend le rail. Mon cœur se remplit. Le
voyage que je croyais mort reprend vie. Je suis si heureuse de trouver de
nouvelles coquilles qui me guident pour quitter la ville. Je rejoins la
campagne.
Je fais un bout de route avec un couple qui me raconte
ses problèmes de couples. Le chemin parfois ressemble au cabinet d’un
psychanalyste á ciel ouvert. Tout le monde se parle ou bien tout le monde se
tait. C’est égal.
Je me pose à l’auberge. Un fou furieux de 66 ans
arrive et demande un lit, paye, se douche et se repose quinze minutes, se
relève d’un bond. Il nous explique qu’il marche jour et nuit. Il a l’air tres
fier de ses ettapes de plus de 100km. Il a les yeux hagards bourrés de
dopamine. Il ne se rend meme pas compte qu’il est completement shooté. il
attrape son sac et repart.
Finalement le chemin peut etre dangereux car on peut
s’y sentir en securité et en meme temps nous sommes livrés à nous-mêmes. il
n’ya pas de debut, pas de fin.comme tu es ton seul guide tu peux tomber bien
profond dans ta nevrose et personne ne s’en rend compte. j’ai rencontré un
autre gars qui faisait le chemin en sens inverse. il avait trop peur d’arriver
á Santiago. alors il errait a rebrousse poils.
5 août Negreira - Olveiroa.
Je marche 34 km. Je mange les deux paquets de sucre
que j’ai récupéré avec le café noir de ce matin. Aucun restaurant sur la route.
Aucun oasis. Pas même un mirage. J’apprends le soir que cette étape est
surnommée « la solitaire ». Si j’avais su…peu importe elle est
avalée, la souffrance aussi.
Je viens d’apprendre dans ma chair le poncif « je
ne sais rien ». Je m’en doutais depuis longtemps. ce doit etre la
difference entre savoir et connaitre. Je viens de comprendre qu’il n’y a rien á
chercher car il n’y a rien á trouver. je dois vivre, marcher vers l’ouest sans
me poser de questions, faire confiance et on verra bien ce qui arrive. Rien
esperer, prendre ce qui vient. Et on rejoint le « dicho » qui regit
toute la socieité colombienne : aujourd’hui ,on a , demain on ne sait pas.
6 août Olveiroa - Fisterra.
Je marche 34 km. J’aurais bien aimé m’arrêter avant
mais l’auberge était fermée alors j’ai poussé un peu plus loin la machine,
parfois en le regrettant. J’ai vu défilé les plages. Les touristes étendus dans
le sable se prélassaient.
je parle á mes pieds et leur promets de leur offrir un
massage s’ils me menent encore plus loin.
et je rabache ma question : Est-ce que je veux
avoir un enfant ? je cherche un prenom sans cesse. Comme si avoir un
enfant se limitait au dur choix du prenom. je suis une fine gourde et
j’articule, les machoires serrees par la douleur : cipriano, sara –Lu,
marco, , Montag, antonine, manolo, lilas
rose le blevec...
je ne peux pas etre mere car je ne peux pas prendre la
place de ma mere. cette place tellement grande qu’elle a occupé dans ma vie.
irremplacable.
J’arrive à l’auberge sur les rotules. Il n’y a pas de
place pour moi. Le pèlerin juste devant moi vient d’obtenir le dernier lit. Un peu
gênée, la logeuse me remet le diplôme de pèlerin ayant gagné la fin des terres.
J’en ai rien à foutre de son carton. Je veux un lit. je me traine par les rues à
la recherche d’une couche.
7 août Fisterra – Faro.
J’arrive au bout de la terre. Une fois encore je suis déçu,
le phare est assailli par les touristes arrivés en voiture. Je crapahute au
milieu des rochers. Je réussi à m’isoler en contrebas. J’oublie la foule. Je
reitre mon bracelet intitulé « la guerre de l’amour » et le brûle. Je
sors de ma poche les sept petits cailloux ramassés à 1600 km de là, à baume la roche, en bourgogne. Là où reposent
les cendres de ma mère et de mon frère. Je remercie et je fais un vœu. Je lance
très loin mes cailloux et j’en ramasse sept autres. J’échange le calcaire
contre le granit.
Je vis des emotions tres fortes. est ce qu’il en est
de meme pour tout le monde. j’ai l’impression d’etre toujours bercee par les
extremes , á mille tout en haut, á mille tout en bas, plongee dans l’eau
bouillante, dans l’eau glacée
8 août Fisterra – Muxia.
je bois un café á la terrasse de la rue principale. nos
yeux se croisent. c’est l’autrichien que j’ai rencontré des jours plus tot. il
me saute dans les bras. nous ne sommes pas capable de communiquer avec des
mots. on baragouine quelques mots en anglespagnodeutsh. on se parle par signe
tres tendrement avec beaucoup d’euphorie dans les yeux. il me montre le motif qu’il vient juste de se
faire tatouer sous l’oreille :une fleche jaune. il marche depuis trois
mois. demain il prend l’avion. en le quittant je lui crie : welcome to the
real life. on se separe des larmes dans les yeux
Une fois de plus sur la route. Un grand sous-bois
couvert de fougères me laissent rêveuse. J’aimerais rencontrer un farfadet.
je suis seule parfois je m’attriste mais je ne touche
pas le fond de l’abime. j’ai un morale d’acier. je tiens bon. demain tout ira
mieux.je n’ai personne a qui imputer la faute. j’ai besoin de ce temps de repos
comme la terre qu’on laisse en jachere pour mieux semer plus tard.
C’est ma dernière étape en Espagne. je suis embrumée à
l’idée d’abandonner mon bâton qui m’accompagne depuis des centaines de kilomètres.
Ils ne me laisseront pas embarquer dans l’avion. Je retourne et retourne, je mastique et mâchonne cette
idée comme je sais si bien le faire. Je suis la reine des idées fixes.
Et puis j’arrive dans les rues de Muxia. Les goélands
s’égosillent. Et puis là je découvre un village en pleine préparation de fêtes.
Une dizaines d’hommes construisent des petites cabanes en bois. La solution est
là. Ils ont tous une scie à la main. Je demande et l’un des baraques
s’empressent de couper en trois mon bâton. La solution finit toujours par se
présenter. Je suis ravie mon bâton voyagera avec moi.
Lorsqu’on ne sait pas á quoi s’attendre, tout devient
miracle : un café au detour d’une rue quand ona besoin de parle, une
fontaine pour remplir sa gourde sur la place d’un village, du produit á
lentilles abandonné dans un dortoir quand on en a plus, un homme une scie á la
main quand on ne sait que faire de son bourdon adoré…