Sa gorge prend
feu.
Assise en
pyjama au milieu des coussins, le teint blafard, les yeux abattus, elle reste
aphone devant l’incendie.Amigdalitis aguda* a déclaré le médecin pendant qu’il lui éclairait le pharynx avec sa lampe de poche.
Alors cette
fois-ci, oui ! Elle crève, crève, crève pour de bon. ENCORE !
Elle exagère.
Menteuse, menteuse, menteuse ! Non je ne suis pas une menteuse ! C’est ma
vérité !
Elle
sur-joue son joli rôle de victime taillé sur mesure.
Histrionique.
Elle aimerait
être couchée dans une chambre très blanche d’hôpital. La lumière passerait à
travers les lamelles en plastique des persiennes. On verrait danser les infimes
particules de poussières dans les rayons du soleil comme dans les films bon
marché. On pourrait croire que Dieu est
au rendez-vous. Tous les hommes qui l’ont aimé se tiendraient là, debout,
autour d’elle et ils se pencheraient, attendris, au-dessus du lit de la femme à
l’agonie comme on se penche sur le berceau d’un bébé à sa naissance.
Quand elle
acceptera sa mort, elle acceptera sa vie.
Petit
oiseau, petit oiseau, petit oiseau notés les uns sous les autres, à côté de
chaque ligne. Elle a listé de A à Z toutes les choses à faire, les saints
devoirs et les durs impératifs. À la lettre M : ne pas oublier d’être très
malade.
Coché.
Dans sa
chambre réelle, sans ex-amants et sans poussières qui virevoltent, elle est terrorisée, ankylosée, garrottée,
comme n’importe qu’elle Marylin. Deux cents numéros enregistrés minutieusement
dans la mémoire du téléphone mais personne pour
avoir la gentillesse de lui beurrer ses tartines le matin. Elle reste
dans l’expectative. Une solitude citadine conventionnelle.
Ils ont enfin réussi à la faire tomber de son piédestal de femme libre. Trophée de papier glacé, papier mâché, papier de soie froissé. Ils l’ont sucée jusqu’à la moelle, piétinée sans remords. Il reste une énigme. Ils.
Elle conclut
sévèrement. Elle a bien peu d’épaisseur dans les yeux des autres. Elle
ressasse.
Combien de
fois elle se relèvera ? Combien de fois elle essuiera ses genoux plein de boue
? Combien de fois elle passera à la machine ses fringues imprégnées d’alcool et
de tabac ? Combien de fois avant de se balancer par la fenêtre, dire merde au
monde et allez vous faire foutre ?
Et
pourtant…elle se croit plus dense que le mercure, plus brillante qu’une étoile
géante, plus inspirante qu’une lune gibbeuse…
Elle couche
des phrases et encore des phrases sur les lignes du cahier pour dénouer ce
qu’ils ont voulu lui faire taire. Main sur la bouche.
Il reste une
énigme. Ils.
Elle
déclenche une guerre civile intérieure.
Elle bute
sur un OINI, un objet inconscient non identifié.
Elle écrit,
réécrit, exhume les cadavres, ressuscite les paroles et s’embourbe toujours
dans le même scenario. Elle creuse à la recherche des souvenirs tronqués, des
fragments d’os, des parfums d’enfance. Elle met en place les fondements d’une
archéologie personnelle. La souffrance, une fois passée par le filtre de
l’écriture, devient agréable à entendre.
Le texte
n’avance pas. Et il ne fait rien d’autre
que jouer les prolongations. Elle tourne en rond devant le narthex. Elle a beau
se flageller en compagnie des autres pénitents, les mots qu’elle égrène ne font
pas sens.
Il manque le
dernier tableau mais elle est arrivée au bout de l’histoire. Alors il faut
rembobiner la cassette.
Poussez,
madame, poussez ! Encore, encore, encore. Stop, reprenez votre respiration.
Allez, maintenant, on y va, poussez, poussez, on se dépêche.
Je suis trop
vieille, je n’ai plus la force.
Un bébé tout
vert est sorti de son ventre. Couvert de méconium. Temps d’accouchement trop
long, bien trop long, diminution de l’oxygénation, État Fœtal non Rassurant ; dans
l’utérus, le bébé écrasé par le poids de la douleur s’est vidé de son jus vert
grumeleux.
F.L.B. est
née emmaillotée dans sa propre merde à force d’attendre qu’on veuille bien la
laisser entrer dans la vie.
Putain de
merde. Salle d’attente de merde.
Souffrir
d’attendre.
*amygdalite
aiguë.
Version blog 1, 26 septembre 2012.
Version blog 2, 23 avril 2016.