Elle crève,
crève, crève. Elle tremble, tremble, tremble. Elle a mal, mal, mal.
Encore un
qui est parti ce matin après avoir avalé son petit déjeuner. Salchicha con
huevos.*
Refrain
qu’il lui susurrait dans le creux de l’oreille, hier soir, en dansant sur un
air de salsa. Images subliminales de Latin Lover qui donnent la nausée.
Después del
baile nos fuimos a casa
Y esto fue lo que ella me pidió
Salchicha con huevos
Me pidió al amanecer*
Y esto fue lo que ella me pidió
Salchicha con huevos
Me pidió al amanecer*
Torse nu, à
table, il a terminé son assiette. Gracias.*
Il a lavé
son assiette et uniquement la sienne.Il n’a pas lavé ses couverts.
Il a laissé sa serviette éponge mouillée dans le lit en sortant de la douche.
Une fois habillé, il est sorti.
La scène se
répète, se répète, se répète avec quelques variations.
Parfois,
devant l’ascenseur, ils lui donnent un baiser copain-copine sur la joue.
Parfois,
devant l’ascenseur, ils lui donnent un vrai baiser mensonger d’amant éperdu.Parfois, ils notent son téléphone. Parfois, non.
Les portes de l’ascenseur claquent.
Le souvenir d’un visage écrase le souvenir d’un autre visage.
La machinerie s’enclenche. Chuchotis de l’éloignement et des câbles qui glissent sur les poulies.
Des heures.
La journée
traverse la brume du guayabo.*Fenêtre. La ville est sombre, bien sombre.
Elle fait tomber le store d’un coup sec. Rituel du soir, désespoir. On lui arrache le cœur. Qui est ce « on » ?
Des heures
et des heures à vivre avec soi-même, enfermé dans la boîte. Et toujours, sur la
table, ces deux putains de bougies pour unique compagnie.
Pendant
qu’elle fait la vaisselle, elle aligne les mots devant ses pupilles et les
range dans son oreille par ordre alphabétique. Les syllabes donnent du rythme à
l’éponge qui tourne au creux des assiettes, les voyelles cadencent le passage
des couteaux-fourchettes sous l’eau du robinet: absence, abandon, balafre,
gouffre, isolement, lacune, maelström, néant, précipice, rupture, séparation, vide.
Laisser
passer, laisser pisser, laisser se faire blesser. Elle a du plomb dans l’aile,
dans l’estomac, dans le crâne. Elle se lamente comme une marguerite effeuillée.
Son cœur jaune dénudé s’incline et le pollen tombe à ses pieds.
Attendre,
attendre le bel et tendre.Putain de merde. Salle d’attente de merde.
Les individualités
se rencontrent, s’emboîtent bien comme les pièces d’un puzzle. À première vue. Quand
on les regarde de plus près, on remarque qu’elles ne s’ajustent pas parfaitement.
Il faut alors scier, limer, poncer pour qu’elles s’encastrent. Une fois rabotées
de toutes parts, on préfère se séparer.
Putain de
merde. Salle d’attente de merde.
Les revues
féminines, offertes à l’aéroport, sont éparpillées sur la moquette. Elle les
piétine. Elle n’acceptera jamais leur offre d’abonnement. En couverture chaque
année, depuis vingt ans, Carole Bouquet sourit en respectant la distance, dans
son chemisier de bourgeoise bien repassée, lèvres peintes rouge carmin, perles
autour du cou, pattes d’oie au coin des yeux. Eternelle icône glacée.
Splendide. Inatteignable.
Plus l’image
froide et belle du magazine lui sourit, plus elle se sent un monstre, une
ombre, une rognure de quelque chose, un petit truc dans un petit recoin, une
serpillière au fond d’un seau, un vomi de rat, un machin fissuré qui cherche
encore à contrôler la chute et le fracas.
Elle marche
à grandes enjambées dans son minuscule salon.
Putain de
merde. Salle d’attente de merde.
Scandaleuse,
elle est faussement fière d’avoir intégré le très grand clan des femmes qui
souffrent, les victimes hystériques, les traumatisées impuissantes, les sages
folles.
Elle grimpe aussitôt
sur l’accoudoir du canapé et, d’un seul rire, elle brandit très haut son poing-bannière
en hurlant.AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHH
Aiguisée par son cri de ralliement, toute la horde des sorcières amazones se met à vociférer, à la suite. Elle invente.
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHH
Dimanche soir. Femme aux forces telluriques.
* elle m’a demandé une saucisse et des œufs au petit matin, refrain célèbre d’une
salsa.
* merci.
* gueule de bois.
Version blog 1, 26 septembre 2012.
Version blog 2, 26 mars 2016.
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