A la
Toussaint tout se sait.
Les
morts sont maintenant des noms sur des papiers de soie pliés en sept. Ils ne
sont rien. Vraiment plus rien. Devant elle se dresse l’autel. Sur une malle de
voyage, des bougies, de l’encens, des cailloux, une graine, le silence, un bonsaï,
une plante qui s’ouvre et se referme, les arcanes du tarot, une spirale.
Les
morts ne sont plus, certes, mais elle s’est enchaînée aux morts. Elle est une
auto-condamnée. Les morts, croit-elle, lui ont donné l’ordre de courir. Courir toujours
car ils lui rappellent sans cesse que le chronomètre est lancé, que le compte à
rebours est déclenché. Lorsque les autres marchent, lorsque les autres se reposent,
elle court.
Elle
parcourt le monde, le boulet des morts accroché aux pieds. Personne ne peut la
suivre, ni la rattraper, ni l’attraper, pas même la mort. Et pourtant si, un
jour, le jour viendra. Alors en attendant, elle s’éreinte. C’est la peine
correctionnelle qu’elle s’inflige. Elle nage à contre-courant. Elle est une
pauvre petite poule d’eau dans la tourmente d’une crue.
Elle
est l’énergie des morts. Leurs yeux, leurs bras, leurs jambes. Ils ne savent
pas qu’ils ne la laissent pas en paix. Elle a prononcé des promesses sur leur
cercueil. Elles doivent être tenues. Je serai tes yeux, je serai tes jambes,
toi qui n’en a plus. Et elle n’a qu’une parole.
Mais lui ont-ils vraiment demandé quelque chose. Non rien, à aucun moment. Elle a mis des paroles dans leur bouche morte, des souhaits dans leur tête morte, des désirs dans leur poitrine morte.
Paroles, souhaits, désirs qui n’ont jamais existé.
Mais lui ont-ils vraiment demandé quelque chose. Non rien, à aucun moment. Elle a mis des paroles dans leur bouche morte, des souhaits dans leur tête morte, des désirs dans leur poitrine morte.
Paroles, souhaits, désirs qui n’ont jamais existé.
Alors
elle prend entre ses doigts chaque papier plié. Elle lit le nom écrit à
l’intérieur, articule lentement chaque syllabe, allume le briquet et met le feu.
Des petites flammèches colorées lèchent les lettres. Le disparu disparaît une
nouvelle fois.
Qu’ils aillent donc en paix pour qu’elle puisse enfin se reposer.
Qu’ils aillent donc en paix pour qu’elle puisse enfin se reposer.
Elle
renonce. Elle résilie les contrats. Elle ne dit pas « Allez-vous faire
foutre les morts ! », mais un peu quand même.
Quoiqu’on
dise, on en dit toujours plus que ce qu’on voulait dire.
Et à
la Toussaint tout se sait.
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