jueves, 18 de abril de 2013

Nuit berbère.


 
 
Nuit berbère.

Djebel Sargho. Nuit de Noël.

Les mules, pattes liées, remuent la poussière et mangent leur grain avec une allure de chirurgien. Masque sur les naseaux. Les Berbères s’emmaillotent la tête dans de grandes toiles, cherchent les vivres et les ustensiles dans les balluchons détachés du dos des bêtes. Ce sont des ombres qui glissent, élastiques, dans l’obscurité, réjouies de pouvoir manger une fois le soleil couché, préparent la harira et les tajines. Epaules contre épaules, en cercle, les genoux repliés, leur regard perce la nuit. Les billes blanches soulignées de khôl lancent des éclats de miroir. Sous les étoiles, les plateaux d’argent et les casseroles en aluminium étincellent aussi. On les lave, accroupi devant les baquets, en économisant chaque goutte d’eau, les bidons en plastique soigneusement refermés.

Le troupeau de chèvres se rapproche en même temps que la peur des ténèbres.

Le Scorpion, fabuleux, darde sa pointe nue, et s’étend de tout son long sur le baldaquin du ciel.

Un par un, les hommes écartent la fente et pénètrent la rondeur de la tente.

Dans la tiédeur du thé, ils récupèrent lentement. La toile les protège de cette démesure qui vibre au-dehors, de cet «  à perte de vue », fascinant, épuisant. Elle les met à l’abri de ses éléments sauvages qui fouettent les sangs. Le monde autour d’eux s’est maintenant rétréci. Il a repris taille humaine.

Les images du jour se révèlent peu à peu sur les rétines: les pitons rocheux, les goulets, les plaines gigantesques apparaissent d’abord flous puis nets, parcourus, reconnus, dominés.

Les muscles se détendent. La sécheresse fendille les commissures des lèvres, le coin des yeux. La peau se fait cuir. Les ailes du nez, les pommettes se craquèlent. De nouvelles cartes de géographie se dessinent.

On remplit son estomac en silence. Les mains font des allers retours jusqu’à la bouche, tranquillement.

Assise sur les tapis brodés, la femme blanche écoute la tempête qui s’annonce et les chèvres qui bêlent.

Les guirlandes électriques, les grands sapins harnachés de boules, les papillotes au chocolat, les bocaux de foie gras, les cadeaux joliment enrubannés, les canapés en velours, les feux de cheminée, les familles qui s’embrassent sous les boules de gui ont disparu de sa mémoire…le réveillon s’est évanoui, comme un mirage à peine aperçu, ou de l’eau avalée par le sable.

Il aurait pu naître ici l’enfant prodige. Dans ce désert. Entre les mules, les chèvres et les Berbères, sur des couvertures de grosse laine.

Mais c’est le reg et son peuple qui ont pris place. Immense et humble.

 



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