domingo, 15 de marzo de 2015

Funérailles.v2.


 

Je vais vous raconter une anecdote qui décrit bien le personnage. Et vous avez le droit de rire, c’est pas interdit. Même si, aujourd’hui, vous êtes tous habillés comme des corbeaux.


Alors, les protagonistes sont : une petite fille de dix ans, un grand frère, et leur maman.

L’année : 1982.

Le lieu : un appartement, dixième étage dans une tour appelée Bagatelle, à Dijon,  au-dessus de la gare, les trains font un barouf d’enfer l’été quand les fenêtres sont ouvertes, on respire la créosote et on entend crier les martinets.

Dialogues en famille.

La petite fille, affalée sur le dictionnaire Larousse: Dis, c’est grand comment la tour Eiffel ?

Le frère : Ch’ai pas. Trois cents mètres, à la louche.

La petite fille : Mouais…mais c’est grand comme combien de tour Bagatelle ?

Le frère : Ben c’est beaucoup plus grand.

La petite fille qui insiste : Ouais mais combien ? Deux fois, trois fois. Combien ? Dis-moi!!

La mère est face à l’évier. Elle fait la vaisselle.

Le frère : Ch’ai pas moi, comme six fois, sept fois…

La petite fille : Et l’Arc de Triomphe ?

Le frère continue de souder ses trucs électroniques: Pffff...T'es vraiment casse-couilles, toi!

La petite fille : Et la colonne Vendôme ?

Le frère s’énerve: Euh…Cherche dans ton dico !

La petite fille : Et le génie de la Bastille ? Et le Sacré Cœur ? C’est grand comment ? Maman, C’est grand comment ?

La mère, elle n’entend rien, elle fait du bruit avec ses casseroles.

Et les questions défilent, défilent. A la vitesse d’un cerveau d’enfant…

Le frère : T’as jamais vu Paris, toi ?

La petite fille, exaspérée, les yeux au ciel : Ben non. Ou alors dans une vie antérieure, quand j’étais Marie Antoinette. Pfff.


La mère donne des croquettes aux chats. Il est dix heures du soir et c’est samedi.

Le frère : Prépare ton sac. On y va.

La petite fille : Sac de quoi? On  va où?

Le frère : Ouais, on y va. Direction Panam.

Les yeux de la petite fille s’écarquillent et elle ouvre une bouche grande comme un four.


300km, c'est la porte à côté ! La mère remet des croquettes dans l’assiette des chats et ils montent illico dans la Golf Gti, orange et toute pourrie. Les portières ferment avec des tendeurs. Les phares mal réglés éclairent à peine la nationale. Une demi-heure plus tard, ils tombent en panne. La Golf hoquète et se traîne à trente à l’heure. Elle crache des flammes par le pot d’échappement. Et de l’huile aussi. Les voitures qui suivent en prennent plein la poire. Les chauffeurs doivent mettre leurs essuie-glaces. Finalement, ils doublent. Tous les cinquante kilomètres, il faut s’arrêter et remettre un bidon d’huile pour que le moteur n’explose pas. La mère fait des chèques en bois dans chaque station-service. C’est fin juin donc fin de mois donc pas une thune. Ils mettent des plombes pour arriver à destination.

Pour une petite fille de dix ans et pour un premier voyage, des plombes, c’est vraiment très long. Une nuit blanche interminable.

Une fois arrivés, avec un café dans l’estomac, ils sillonnent la capitale de long en large: la tour Eiffel, la colonne Vendôme, le Moulin rouge, le Sacré Cœur…

Ils font le tour de l’Etoile cinq fois avec la Golf orange et toute pourrie. On dirait qu’elle roule sur deux roues tellement elle penche dans le virage. C’est chouette !

En courant, ils montent et descendent les Champs-Élysées. La petite fille, pendue à la main de son frère, vole derrière lui comme un fanion accroché à un vélo.

Il a des grandes jambes et elle, des toutes petites. La mère se plaint. Elle a mal à ses oignons. La petite fille prend toutes les mesures possibles : combien de tour Bagatelle l’Arc de Triomphe, combien de tour Bagatelle la tour Montparnasse…

Et puis, ils prennent le métro. Ils montent en première classe avec des billets de seconde. Ils se prennent une amende. La mère  gueule, parce que quand même. Et elle fait un chèque en bois. Un de plus, un de moins.

Sur le chemin du retour, ils  passent voir les avions à Orly. Y a même le Concorde. Celui qui traverse l’Atlantique. Avec son nez tout pointu. Celui qu’on voit d’habitude à la télé chez Mourousi.

Ils rentrent à la tour Bagatelle avec la golf Gti, orange et toute pourrie, qui finalement a tenu le coup. Ils mettent encore des heures.

La petite fille va directement à l’école sans passer par son lit. Ils la déposent devant la grille avec son cartable et ses yeux plein de sommeil et de merveilles. Ça rime mais c’est pas fait exprès. C'est la vérité.

Ce jour-là, en classe, c’est expression écrite. Elle rédige un texte ou plutôt un traité scientifique intitulé, je vous le donne en mille, « Mesure des monuments de Paris en unité tour Bagatelle. »

La mère, elle retourne à ses gamelles. Tampon Jex et Solivaisselle.

Et lui, il retourne à ses bidouillages.

La petite fille, aujourd’hui, c’est elle qui donne des rédac aux élèves. Mais pas trop souvent parce que c’est chiant à corriger.

La petite fille, aujourd’hui, elle habite de l’autre côté de la mer.

Elle prend des avions comme on monte dans les Golf Gti. Orange et toute pourrie. Elle a le goût de l’aventure et des ailleurs.

Y en a qui disent : c’est bizarre. On ne sait pas d’où ça vient. On ne sait pas d’où ça sort.

La mère, elle est partie récurer les casseroles de Saint Pierre, il y a bien longtemps déjà.

Et lui ? Me direz-vous. Avec un joli point d’interrogation en queue d’écureuil.

Eh bien, il est là, étendu entre quatre planches, devant vous.

Devant moi.


Hommage.

Je te salue grand frère !
Que les flammes te soient douces, que la terre te soit légère,
Et bon voyage !




Version originale 25/05/2006.
Version blog 1, novembre 2012.
 


 

 

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