Une
circonstance: un bus à prendre.
Je courais sur l’asphalte en direction de la gare
routière. J’enfilais les trottoirs et je tournais sec à angle droit. Les
maisons couraient en sens inverse à droite et à gauche. Le ciel bleu de cobalt
et le soleil flamboyant dévastaient la ville d’une lumière que je ne pouvais
décrire. Elle ne m’était pas familière. Elle n’appartenait à aucune saison que
je connaisse.
J’arrêtais net ma course. Je sortais mon mini appareil
photo. Une fois de plus, la nécessité furieuse de capter une image, une idée,
un mot l’emportait sur le reste…l’emportait sur l’impératif d’un horaire de
bus.
Je courais cinquante mètres, photographiais une maison,
courais cinquante mètres, freinais brusquement, braquais l’appareil et ainsi de
suite. J’avais l’impression de tirer le portrait de personnes rencontrées sur
mon chemin.
À cause de la trop forte luminosité, l’écran était noir,
je cadrais à l’aveugle. Plus tard dans le bus, déception. Le résultat était
bien médiocre. Floues ou mal centrées, il fallait en effacer les deux tiers.
Peu importe, je reviendrai et seulement pour photographier ces maisons. On peut
toujours revenir.
La fin du voyage n’est pas un deuil, c'est une naissance.
J’affectionne les neuf photos rescapées.
Un
matériau : le carton.
Les maisons de cette ville sont construites en carton
compressé. Elles tremblent quand on claque la porte, quand on monte les
escaliers. Elles m’ont fait penser aux maisons que je fabriquais avec des
boîtes de chaussures et du scotch pour coucher mes poupées et mes nounours.
Dans la cuisine, un gros poêle ronfle comme un dragon
endormi, enroulé sur lui-même. On imagine les murs s’enflammer d’un coup d’un
seul si une flammèche venait à sortir de ses narines.
Je suis restée perplexe devant la fragilité de la maison
des trois petits cochons. Dans une région au climat si rude, le grand méchant
loup pourrait très bien la souffler comme une bougie. Pourquoi ne pas avoir
choisi un matériau plus solide, un meilleur isolant ? J’ai posé la question aux habitants.
Réponse : on a toujours fait comme ça.
La tradition prévaut sur la raison.
Je m’en vais rassurée : un grain de folie gouverne
encore ce monde.
La
partie d’un tout : une façade.
Une maison, un gite, un foyer, un nid, un refuge, un
terrier, un ventre, dans lequel on s’engouffre, quand on a froid, quand on est
fatigué, quand on a peur, pour protéger nos amours, pour cacher nos colères, un
domaine pour mettre en sureté notre intimité, une coquille pour abriter notre
corps vulnérable.
Ce jour-là, dans la rue, c’est sur mon dos que je
portais ma coquille-un gros sac- comme un escargot, j’adore cette anatomie que
me confère le voyage.
La maison héberge notre intériorité et celle-ci traverse
les murs et s’affiche aussi à l’extérieur : choix de la peinture, des
moulures, des décorations, des rideaux, des grilles, des pots de fleurs.
Il y a une circulation fluide entre le dedans et le
dehors.
La maison donne à lire aux passants et renseignent sur
ses hôtes.
L’intérieur déteint sur l’extérieur, l’espace intime sur
l’espace public.
J’ai photographié une habitation mais c’était comme
photographier le visage d’une personne. Et puis, il y a aussi l’analogie :
des yeux, un nez, une bouche, des fenêtres, une porte, un seuil.
Comme dans les dessins d’enfants, les maisons sourient
avec une grande bouche pleine de dents et un regard en coin.
Alors, nous étions face à face, les yeux dans les yeux.
A ce moment. Sur ce point du globe.
CLIC. Nous nous sommes reconnus.
Instant
T : 4 janvier 2015, 11:52 am.
Coordonnées
géographiques : Puerto Natales (Chili),
latitude -51° 43’ 25 S, longitude -72° 29’ 14
O.
Les photos sont exposées actuellement à l'espace culturel A6Manos, Calle 22#8-6, Bogotá.
No hay comentarios:
Publicar un comentario