domingo, 14 de febrero de 2016

À quoi bon écrire? 2.v2.

ou Tout raconter sans savoir comment.



Changement de décor. Premières heures du jour à la campagne. Je suis assise dans mon lit, le dos bien enfoncé dans les oreillers de plumes, les jambes pliées à angle droit, l’ordinateur sur les cuisses. Le chat ne joue plus avec la petite flèche. Dehors, c’est la Colombie qui parle.
Des sauterelles, des cafards, des grillons, des oiseaux, des serpents.
Il court derrière tout ce qui bouge, hystérique, s’arrête net, enfonce ses griffes dans le tronc du manguier, reprend la course. Vivre chat.

Paralysie femme. Je remets une fois de plus l’écriture du roman au lendemain.

 
Je devrais copier la Duras, attendre que les mots filent au bout de mes doigts, rester suspendue à la fin d’une phrase, la peur au ventre.
Je devrais cloper des Gauloises et poser un verre de vin à côté de moi.
Si ce n’est pas suffisant, après le chat et les Gauloises, je devrais acheter une lampe de bureau avec un abat-jour en velours vert, des étagères remplies de livres, et des châles que je déposerais sur les fauteuils. Je devrais apprendre à préparer le riz gluant.

Je devrais, je devrais, je devrais tordre le cou à mes « je devrais ».

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Aujourd’hui, ma mère est encore morte, une fois de plus.
Dans mes cauchemars.

Et une fois de plus, je suis chargée de vider son appartement comme on vide un poulet de ses tripes. Ouvrir les tiroirs, les armoires. Tout mettre à sac. Tout nettoyer. Et toujours la même panique face à la montagne de travail que cela représente. Une voix me prévient : Attention! Cela fait des mois que les animaux sont seuls, ce doit être un désastre.

Je marche dans le dédale des voitures garées sur le parking. Interminable. Je tourne dans un sens puis dans un autre, reviens sur mes pas.
J’ai perdu le chemin qui mène à la maison de mon enfance.

 C’est bizarre, ils ont transformé les garages en mobil home. Les gens ont vraiment des idées à la con : mais qui vient passer des vacances dans la cour d’un immeuble à côté de la gare? Et ils ont même installé de beaux vaisseliers avec des napperons et des bibelots en plâtre. Il faut probablement entrer avec les patins. À travers les baies vitrées, on les voit, attablés, en train de manger leur soupe. Qui sont ces êtres vivants si étriqués?

Je trouve enfin l’entrée du bâtiment. Je m’approche de l’ascenseur. Putain, bordel! J’avais oublié, je suis venue accompagnée. Mon fiancé est un boulet. Il n’avance pas. Il est resté là, le nez en l’air, au milieu de la rue. Je le récupère et le tire par la manche. Je vais devoir me charger de tout. C’est un impotent. Merde! Je ne peux pas faire ma vie avec un type pareil. Ma mère ne sera pas fière de moi si je ne suis pas fière de lui. Mais, d’abord, qui est cet homme?

Un étranger.

« Perdre son mari, ce n’est pas le plus grave, un mari c’est un étranger pour soi…mais perdre un enfant… » Encore une ritournelle de ma grand-mère. 

Et puis l’ascenseur finit par s’ouvrir. Il pleut à l’intérieur. Une sorte de pommeau de douche est installée au plafond. Je fais des hypothèses. C’est une machine pour détecter les gens malades. Le malaise empire. On monte tous les deux, on se sert dans un petit coin pour ne pas se faire tremper. Des odeurs d’hôpital envahissent la situation. Je porte tout le poids du monde sur les épaules. L’intuition de la catastrophe imminente grimpe lentement de mes doigts de pieds jusqu’au lobes de mes oreilles. Qui peut m’aider? Je suis seule. Cet homme à mes côtés est un semblant d’homme. Dans l’ascenseur, je cherche les boutons. Il n’y en a pas. Aucun bouton donc aucune destination possible. Les portes ne s’ouvriront plus jamais. La claustrophobie me fait voir trouble.

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Elle se relit, affligée. Elle passe du je au elle, du elle au je, sans même sans rendre compte. Elle n’est pas capable d’écrire autre chose que ses manques, ses faiblesses, ses ratés et ses crises intestinales. Elle se martyrise en remuant et remuant le couteau dans la plaie pour faire du joli boudin.

Que faire de toute cette vie, que faire de tous ces souvenirs ressassés, que faire de tous ces objets accumulés? Que faire de tous ces mots frappés sur un clavier, toutes ces phrases qui ne sortiront jamais de ce disque dur. À quoi bon les écrire, à quoi bon les conserver dans cette mémoire sèche? Enfermés dans cette boîte, ils restent inertes. Ils n’atteignent personne. Ils n’ont aucun destinataire.

Sa vie se résume à : quelques peintures en vrac, des spectacles à peine vus et déjà disparus, un cimetière d’albums-photos avec la date écrit sur la couverture, un scénario sans tournage, une psychanalyse qui n’a pas de fin, des textes silencieux…

Pour qui? Pour quoi?

Tout le potentiel de la vie devant soi se déroule comme un tapis à ses pieds et elle ne peut que constater le désastre : elle n’est bonne à rien. Son cœur ne bat que pour faire perdurer cette insatisfaction illimitée. La fatigue d’être soi s’installe chaque jour davantage.

Mon Dieu! Au secours! De l’air! Sortons vite de cet ascenseur-douche-hôpital!

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Juillet 1934. Mon oncle Dédé était mort du tétanos. Neuf ans. Égratignure d’enfant qui escalade un muret pour voir le feu d’artifice. Mes grands-parents avaient décidé de se suicider. Allumer le poêle à charbon. S’endormir à tout jamais avec leur petite fille-ma mère- cinq ans.

La mise à exécution n’avait pas eu lieu. Ils avaient voulu fleurir la tombe du petit une dernière fois.
Ma mère avait frappé la stèle de ses petites menottes :
«  Et ben moi j’aimerais pas être là-dessous! »
Ils étaient rentrés du cimetière, avaient rechargé le poêle à charbon. Pour préparer le pot-au-feu.
La vie avait suivi son cours. Ou presque.
Ma mère était devenue l’ainée, le fils de remplacement, celle qui grimpe aux arbres et va nager dans la rivière en plein hiver.

Dans la famille, les petits garçons avaient une place un peu particulière. Ils faisaient ce qu’ils voulaient, on leur pardonnait tout, alors ils grandissaient en tous sens, n’apprenaient pas à se protéger, mouraient jeunes, la boucle était bouclée.

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Maintenant, je suis debout sur la plate-forme du dix mètres. Je grelotte dans mon maillot de bain une pièce. Je me lance ou je ne me lance pas? En bas, la piscine est presque vide. On voit les murs à la verticale couverts de mosaïques dégueulasses. Il y a de la mousse, des dégoulinures et de l’eau croupie.
Verte et bleue.
C’est très inconfortable d’avoir les doigts de pieds au bord du plongeoir. Alors je vais sauter.

Arrivée en bas, je gigoterai de toutes mes forces, petite grenouille sans palmes.

Pourquoi?
Pour offrir ma vie à ceux qui n’y croit plus. Pour ajouter ma touche personnelle au tableau. Un peu de rouge au fond de la piscine.
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Version 1, 4 décembre 2011.
Version blog 1, 23 août 2012.
Version 2, 12 février 2016.

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