sábado, 16 de febrero de 2013

Broderies, guipures et charognes.



J’ai une caméra au poing. Je marche dans un très grand dépotoir qui s’étend jusqu’à l’horizon.

Des débris. Des pots de yaourts, des couches culottes, des os de poulets. Je marche et je filme. Là où je pose les pieds.

Je regarde la ligne du ciel. Très loin, très bleue.

Je marche et je m’enfonce un peu. Parfois beaucoup. Jusqu’au genou.

Les poubelles se mélangent peu à peu aux cadavres humains. Je marche sur des cages thoraciques qui s’écrasent sous mon poids. Mes talons dérapent sur des crânes lisses.

Je filme les détails. Je suis éberluée.

Je réalise que je musarde dans un camp de concentration.

Je monte sur une petite colline. Les cadavres amoncelés font des petits vallons. J’arrive au sommet et de l’autre côté, je découvre la présence de deux êtres humains, vivants. Des chirurgiens qui opèrent sur une civière. Ils me disent d’approcher, m’invitent à filmer.

Je m’avance, je zoome. Ils sont vêtus de vert avec des masques. Tout est dégueulasse. Vraiment dégueulasse. Leurs tabliers maculés de sang noir. Le drap en papier couvert de petits bouts d’os.

Ils sont en train de scier un tibia sanguinolent. Ils m’expliquent leur travail et d'un geste de la main m’incitent à venir voir de plus près. Je suis abasourdie mais je fais le job.

Je suis protégé par la caméra. Entre eux et moi existe un œil artificiel.

Ils nettoient la civière d’un revers de manche et me propose de me coucher.

Sans engagement, juste pour voir, pour mieux comprendre.

Je ne peux pas refuser. C’est gênant. Il faut s’exécuter. Je dis un peu non.

Non non, merci, une autre fois peut-être.

Ils me couchent et me retirent la caméra. Le danger apparaît dans mon esprit pour la première fois. Je suis étendue et ils veulent faire des expériences sur mon corps. Ils veulent qu’on joue au docteur.

L’un sort une scie égoïne. L’autre viole une fille sur la petite colline d’à côté. Je regarde la fille, je voudrais crier.

La fille bascule la tête en arrière et me regarde. C’est moi.



Je me résorbe, d’un coup d’un seul. Ma conscience fuit.

Je reprends corps. Dans une immense robe de mariée.

Tout de blanc, j’avance et je grandis, grandis, grandis. Les perles scintillent. La dentelle et le satin glissent entre les doigts et font un petit bruissement d’ailes de moineau.

Je me présente devant le portail de l’église. Ma tête se trouve tout en haut et la robe remplit toute l’embrasure. Ma tête paraît toute petite. Là-haut, là-haut.

Et je pense : Il faudra un escabeau pour redescendre de cette robe!

J’entre dans l’église. Je marche sous la voûte. La tête proche des croisées d’ogives. Le marié m’attend tout petit à côté de l’autel. Au bout de la nef. Il m’embrasse. Comment fait-il? Si je me trouve tout là-haut perché au-dessus d’une robe de mariée. Avec ma tête toute petite.

Au moment du baiser, je rétrécie et la robe aussi. L’air s’échappe de dessous les jupons. Comme un soufflé qui crève. Pffffffffff.

Et j’atterris comme une plume sur le prie-Dieu. Assise et toute étonnée.


Il est 5h45 du matin. Il faut ouvrir les paupières. Pleines d’os et de dentelles.



 

 
 

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