Entre chien et loup, entre Gaston et Gérard,
je vadrouille entre les êtres, je marche, marche, marche...
Que faire d'autre ? Les solitudes
ne se rencontrent pas.
J'avale quatre romans en deux jours. Les
mots sont autant de bouées qui m'aident à rester à la surface, même si parfois
ces mots se vident de leur contenu. Et je répète dans ma tête le mot mur jusqu'à ce qu’il ne signifie plus
rien, seulement trois petits sons que j'articule dans ma bouche.
Je circule entre les êtres, je me
frotte à eux mais je ne perçois plus leur empreinte sur mon corps, ni leur
trace sur mon âme.
Je me suis institutionnalisée. Je me
fige. Je deviens un moi sclérosé rempli de certitudes et de doutes, d'habitudes
et de rituels.
Je regarde la collègue puis je
regarde la photocopieuse et je me sens plus d'affinités, plus d'accointances
avec la photocopieuse.....elle répète, je répète....quand elle fait un bourrage
de papier, elle a une petite alarme qui sonne avec un voyant orange qui clignote.
Ma petite lumière s'agite depuis
longtemps, mais pas de technicien en vue.
Je m'isole, je ne suis plus perméable
comme auparavant.
Les déceptions se sont accumulées
comme autant de furoncles sur le visage d'un acnéique. Chaque jour une nouvelle
rougeur apparaît, petites meurtrissures.
Alors je ne passe plus devant le
miroir. Je me lave les dents le regard fixé sur les piles de linge dans
l'armoire.
J'épouse l'oreiller, entortille les
doigts dans la queue du chat, explore les draps froids avec le bout du pied…
Il y a encore un bout de chemin à parcourir...tout peut survenir.... tout peut arriver, ce n'est pas fini....pas fini, loin d’être fini, c'est juste une pause, pause à laquelle je ne suis pas habituée. Je suis une personne de caractère type A ...alors il faut que ça fuse mais la vie dit non.....comme si elle voulait me donner une leçon.
Alors j’apprends ma leçon par cœur chaque
soir. J’égrène les lieux communs comme les perles d’un chapelet.
Et puis je dévore les livres. Je me saoule
de mots. J’écoute leur voix qui remplit tous les recoins de ma tête.
Je cherche la réponse dans chaque roman. Et j’en découvre une
autre.
Je me sens rassurée quand j’entre dans la bibliothèque.
Je regarde les étagères bourrées à
craquer et je soupire… des rencontres sont encore possibles.
Chaque couverture contient un monde qui
contient mon salut.
Mais c’est un
dialogue de sourds qui se profile. Je les entends, ils ne m’entendent pas. Alors
je termine un roman pour en ouvrir un autre, pour qu’il reçoive à son tour ma
parole. Mais il n’a pas mis son sonotone. Alors pour répondre, je gribouille une
page sur ma messagerie en regardant la photocopieuse. La collègue assise à côté
ne bronche pas.
Je ne lisais rien
lorsque j’étais enfant. Pas une ligne. Si...le dictionnaire qui me servait aussi
de rehausseur pour m’installer à table.
Et puis un jour, un
roman m’est arrivé entre les mains L’écume
des jours. Avec un
crayon à papier, j’ai commencé à souligner les phrases que j’aimais. Quand j’ai eu refermé le livre, toutes les
lignes étaient marquées. J’avais 13 ans. Le grand début de ma boulimie. Aucune idée des proportions que cela allait
prendre.
Je pianote à côté
de la photocopieuse et la collègue ne scille pas devant son écran. A peine un
bonjour, à peine un au revoir. Alors je retourne à mon Kafka voir si lui me
parle de sa taciturnerie.
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