Petites
choses de l’enfance.2.
Quand
j’étais petite, je me versais du mercurochrome partout sur les jambes. Je me
voyais les jambes ensanglantées et ça me plaisait. Je me cachais sous les draps
et j’attendais qu’on me découvre. L’attente était longue. Interminable.
J’entendais la voix de ma mère, de ma sœur au loin dans la salle. J’avais chaud
sous les draps, je transpirais. Elles ne venaient pas, ne se souciaient pas de
moi. Désillusion. Je finissais par sortir de ma cachette. Et je me faisais
engueuler. Ça coûte cher le mercurochrome.
Quand j’étais petite, je croyais entendre une
petite bête, un petit insecte, un petit grillon tout au fond de mon oreiller.
Personne ne l’entendait sauf moi. Parfois je ne l’entendais pas et je devais le
chercher dans tous les recoins de l’oreiller. Parfois je croyais qu’il avait
migré dans un autre oreiller. Je paniquais un peu et puis je le retrouvais. Je
pensais qu’il était là pour moi, pour m’aider à m’endormir. On m’expliqua un
jour que c’était le sang dans mon oreille, mon propre pouls. C’était très
décevant comme explication.
Je
l’entends encore parfois, je m’entends vivre et je m’endors, bercée par ma
petite cigale personnelle.
Quand
j’étais petite, j’aimais bien joué dans la salle de bain. J’imaginais que le
gant de toilette était un sac de charbon. Et moi, j’étais une pauvre servante, une
esclave, une Cosette. Mon rôle préféré à égalité avec Cendrillon. Mon maître
m’envoyait chercher du charbon. Je partais, sac sur le dos, je faisais des
petites pattes avec mes doigts et je marchais sur le bord du lavabo. Je remplissais d’eau le gant et je retournais à la
maison de mon ogre, le porte-savon, toujours en marchant avec mes petits doigts
sur le bord du lavabo. Mais lorsque j’arrivais, l’eau-charbon avait disparu du
gant de toilette. Le tortionnaire hurlait « Où est le charbon ? Bonne
à rien ». Il m’étripait et je devais y retourner…des heures à jouer sur le
bord du lavabo…et la mère qui faisait la vaisselle de l’autre côté de la
cloison gueulait, arrête de gaspiller l’eau, ça coûte cher (et je n’aurai plus
assez d’argent pour mettre de l’essence dans le réservoir de ton frère) et je
jouais et rejouais la même scène jusqu’à me faire virer de la salle de bains. Désabusée.
Quand
j’étais petite, il y avait dans la salle une grosse télé à lampe. Pas du tout écran
plat et coins carrés. Tout le contraire. Un beau jour, une lampe à griller.
Panne d’image mais toujours du son. Alors ma mère allumait la télé comme on allume
la radio. J’ai appris à regarder les dessins animés devant un écran noir.
Pendant des années. Dans ma tête, il y avait même la couleur. Je m’installais
sur la moquette râpée, avec mes tartines de camembert au four. Le camembert au
four, c’est délicieux, mais ça colle derrière les dents de devant. Alors j’étais
couchée là, à plat ventre, et je voyais défiler dans ma tête : Bipbip et le coyote, Pollux et Zébulon,
Casimir et Hyppolyte. Un jour, on m’a offert un puzzle. On m’a dit, tiens,
c’est Casimir. Et là, je l’ai vu pour de vrai, orange, sur le couvercle. Je
crois que mon cœur a failli sortir de ma poitrine.
Le
mien n’était pas comme ça. Le mien, il avait des oreilles dressées sur la tête.
Un
jour, ma mère a trouvé un Kiki dans la rue. C’était la grande mode des Kikis et
ça coûtait très cher. Alors me voilà avec un Kiki, summum du bonheur. Ma mère
s’empresse de confectionner un couffin pour Kiki dans une boîte à chaussure, magnifique,
recouvert de tissu jaune avec des canards. Et de tricoter tout le trousseau du
Kiki. Sortie de bain, robe de soirée, pull pour aller au ski. Chaussons en
moumoute et pantalon avec petit trou pour laisser passer la queue. Magnifique.
J’avais hâte que le lundi arrive pour emporter tout ça à l’école, le montrer
aux copines. Et puis l’heure tant attendue de la récré est arrivée. Grand déballage
de Kikis sous le préau. Et toutes les copines de se foutre de moi. C’est un
faux, ton Kiki. Nan. Si. Nan. Si. Regarde, compare, tu vois, il n'est pas pareil.
Douleur. J’arrive à la maison en sanglots. Et ma mère de me consoler. Ton kiki,
c’est le plus beau du monde parce qu’il n’y en a pas deux comme ça. Et d’abord, il est diffèrent
parce que c’est une Kikette. J’étais fière. J’avais la réponse.
Un
jour, ma Kikette a traversé la mer avec moi en avion. J’ai pleuré dans le taxi
en arrivant. Qu’est-ce qu’on fait là ? De l’autre côté de la mère.
Quand
j’étais petite, j’ai vu la porte s’ouvrir et un vélo entré, puis ma mère,
chargée comme une bourrique. Des paquets partout. Elle avait traversé la ville à
pied avec le vélo et les paquets. On ne l’avait pas laissé monter dans le bus.
Mes yeux n’ont jamais été aussi gros. J’arrive dans la cour, j’enjambe le vélo
et je fais des tours et des tours. Les copines arrivent. Il vient d’où ton vélo.
De carrefour. Ridicule. Rires. Les pédales, c’est du jambon, et les poignées, c’est
des saucisses. Ridicule. Retour à la maison en larmes. Maintenant, je le
trouvais moche mon beau vélo bleu. C’est des ânes, tes copines. Arrête de chouigner.
Ton vélo c’est le plus beau du monde parce que j’ai traversé la ville à pied
pour le rapporter. Il ne vient pas de Carrefour, il vient de loin.
Et
puis un jour est apparu Picaillon. Un ours tout plat comme une galette. Rouge. Trouvé
aussi dans la rue. Ma mère l’a lavé. Je n’aime pas voir les jouets des gosses égarés
dans le caniveau. A qui je vais le donner ? Je le veux. T’es trop grande.
Je le veux. T’as passé l’âge. C’est vrai que j’avais quatorze ans. Mais je n’ai
pas lâché. Il dort tous les soirs à l’intérieur de mon pyjama sur mon cœur. Il reçoit
toutes mes prières. Muet et jamais décevant le Picaillon.
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