Journal
de Compostelle.2.
18
juillet Saint Jean-Pied-de-Port- Roncevaux.
Réveil
sableux à 5h. J’ai passé une sale nuit. Des plantes carnivores me mordaient les
fesses et je ne pouvais pas m’asseoir sur les toilettes.
J’angoisse
à l’idée de ne pas trouver à manger dans la montagne.
J’angoisse
à l’idée d’avoir chaud, froid, tiède.
J’angoisse
à l’idée de me faire foudroyer par un éclair.
J’angoisse
à l’idée de rencontrer la bête du Gévaudan.
La liste
des angoisses est aussi longue que le chemin.
Je
petit déjeune avec les pèlerins. L’hospitalière est complètement folle. Elle
nous engueule les uns après les autres et profite d’une langue que les étrangers
ne comprennent pas. On croirait un sketch. Elle me retire le pain de la bouche.
Evidemment, je faisais des réserves, la peur de la famine me taraude.
Je
sors dans la rue. L’aube se lève. Mes pas sonnent sur les pavés. Premières foulées
sur la grand route étoilée.
Je
rencontre un Espagnol. On se raconte notre vie. Je suis sauvée !
Ce
n’est pas « je pense donc je suis » qui s’applique chez moi mais
plutôt « je parle donc je suis. »
Je
trouve de la nourriture, tout va bien.
Avoir
deux jambes et se transporter est un luxe. Je le savoure
J’avale
les kilomètres sans m’en rendre compte. On arrive au monastère. Tout est
magnifique. Les soucis s’envolent.
Je
suis heureuse et excitée comme une guêpe.
J’ai
vu la réalité à travers mes lunettes noires puis roses comme d’habitude. Je
connais le refrain par cœur et pourtant je me fais toujours prendre au piège des
vrilles-estomac.
19
juillet Ronceveaux-Zubiri
A la
sortie du village, je lis un panneau Compostelle
760 km. En un flash, la carte de géographie
apparait sous mes yeux. Une ligne interminable,
incommensurable. Je sortirais bien du rail.
Je
voudrais être déjà arrivée et déballer le cadeau de noël, tout de suite,
maintenant, comme une petite fille capricieuse.
L’Espagnol
maintenant se plaint à chaque foulée. Il m’énerve. Il veut parler et marcher à
côté de moi alors qu’il n’y a pas de place sur le chemin pour deux.
Quand
la faiblesse des autres me sert à dépasser les miennes, je la reçois les bras
ouverts, sinon elle m’embarrasse comme une valise trop lourde.
Je
pars seule, je vole.
Je
traverse des forêts magnifiques. Je ne serais pas surprise qu’un gnome surgisse, me fasse un pied de nez
et se cache sous un arbuste.
C’est
une forêt enchantée où l’on pendait les sorcières.
Je
suis l’invitée d’un chapitre de Tolkien. Encore quelques foulées et j’appartiens
au mythe.
je
deguste mon pain sous un arbre, des courbatures dans les jambes. c’est
l’alliance des trois qui me fait entrevoir le paradis.
Je
rencontre un jeune italien. Il m’explique qu’il vit un amour non partagé. Je
lui dis de changer de crèmerie …du haut de son jeune âge, il me répond que l’amour
est mystérieux et ne se commande pas. Il me laisse pensive.
J’arrive
à l’auberge. Je fais ma popote…
Je
croise une blonde platine en pantalon rose moulant, ultra maquillée avec des
immenses boucles d’oreille. On n’a pas dû préparer notre sac de la même manière.
Dans
le soir, je croise l’espagnol qui marche millimètre par millimètre.
Voûte
plantaire recouverte d’ampoules. Je le surnomme avec malice « Nike air ».
Je
n’ai mal nulle part. Je bois un litre de bière et je dis Merci Arnica. Je fais
ma fière.
je
me repete pour me bercer : Fais confiance !
Extinction
des feux dans le dortoir. Les plantes carnivores ne pointent plus le bout de
leurs dents.
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