Journal
de compostelle.3.
20
juillet Zubiri- Pamplona.
Je
pars la fleur entre les lèvres. Le chemin est léger ce matin. Il serpente dans
la montagne gentiment.
je
bois un café. tout me semble merveilleusement beau. le comptoir, les tabourets
de bar, les clients qui enfournent des tortillas en regardant la tele.
pourquoi
je ne suis pas capable de voir le café des sports de montbard avec les meme
lunettes roses que je porte actuellement
lorsque je pose mon regard sur le café de doña pepa ?
il
faudra que je fasse l’effort. c’est le pouvoir de mon esprit qui pourra
transformer les choses, du laid vers le beau ou le contraire.
Et
puis je traverse une zone industrielle et la menace surgit : le syndrome
d’enfermement. Je me sens toujours coincée partout. Toujours partir.
Si
j’ai une fille, je l’appellerai Libertad.
Je me sens sans maison, apatride.je ne sais
pas où dormir en France alors je pars. Je ne reste pas en place. Le gens
pensent surement que je suis égoïste, je ne me pose nulle part, ni chez eux ni
ailleurs. Ils m’envient, toujours sur la route. Ils n’ont pas idée de la dureté
de l’arrachement.
J’arrive
à Pamplona. Le monastère dortoir est magnifique. L’oxygène revient.
Je
me joins à d’autres pèlerins. On déambule dans les rues. Malgré les bières, je
ne ressens guère de communion.
21
juillet Pamplona-Puente Reina.
Je
quitte le monastère. Il fait encore nuit. Je traverse un parc. Assis sur les
bancs, des jeunes font « botellon ». D’habitude, je suis avec
eux á user mes jeans et mes converses sur le goudron.
Cette
fois, je suis le Mat. Je n’ai pas de maison. Mon instinct, ce chien qui me mord
les fesses, me pousse á marcher. Je n’ai plus de repères. J’avance seulement
vers l’ouest, attiré par cet aimant. J’avance le soleil dans le dos le matin,
je regarde mon ombre qui s’étire devant moi. Au-dessus de ma tête, le midi,
l’astre me transperce de part en part.
marcher
c’est penser mais le chemin est invisible sous nos pieds.
le
chemin rend humble car on endosse tous l’habit du vagabond. nous sommes les
clochards celestes de jack kerouac.
je
me récite aussi les vers de Rimbaud.
«
Je m’en allais les poings dans mes poches crevées ;
Mon
paletot aussi devenait idéal ;
J’allais
sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh !
là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
…
Comme
des lyres, je tirais les élastiques
Je
passe sur un pont d’autoroute. Je regarde passer les voitures. J’imagine
qu’elles se dirigent toutes vers la plage. Je les vois passer avec des bateaux
sur le toit, des gosses sur la banquette regardent par la lunette arrière. J’ai
le sentiment d’évoluer dans un espace-temps différent du leur. Ils sont dans la
vie et moi juste á coté, sur le bord.
25
km aujourd’hui. Seulement quatre jours de marche et tout me parait trop long.
J’ai
l’impression que la fève se trouve au bout du monde. J’ai envie de me
rapprocher. je veux tout tout de suite. Je vérifie mon calendrier. Je marche
d’habitude une semaine alors j’ai envie de me proposer le double. C’est tout ce
que je peux faire. Plus me parait au-dessus de mes forces mentales. Alors c’est
décidé, demain je prends le train et je saute les kilomètres, envers et contre
tous. Les autres pèlerins m’houspillent. Tu ne peux pas, tu n’as pas le droit. Mais
je fais ce que je veux. Moi et seulement moi
décide de mon chemin. Allez-vous faire foutre demain je me télé
transporte, un peu plus près du but, je me sentirai mieux.
22
juillet Puente Reina- Astorga.
Je
fais le pied de grue à l’arrêt de bus. Arrive un suédois. Il m’explique qu’il
doit prendre le bus car il a la hanche enflammé. Il ne peut plus faire un seul kilomètre.
Pourquoi ? Parcourir une seule étape me paraissait trop court alors j’en
ai enchainé deux. Maintenant je ne peux plus faire un pas. Je lui
réponds : c’est la leçon du chemin.
Au début
du chemin nous sommes de tous petits bébés et le chemin nous enseigne la vie. Moi
je ne suis pas capable de sentir la récompense si loin de moi.
Alors
à chacun son chemin. On se sépare.
Je
prends un bus et deux trains, je m’ennuie à mourir.
Je
devrais être heureuse d’être en vacances, heureuse de voyager, d’être en bonne
santé, heureuse de me rapprocher chaque jour de Santiago. Je crois que j’ai
peur de m’éloigner des personnes auxquelles je suis attachée.
En fait, faire la route, visiter Santiago, j’en ai
rien à cirer. En vérité je fais du remplissage de vie parce que je ne vais tout
de même pas attendre sur un canapé. Ca je l’ai déjà vécu et ça fait très mal. Aux
fesses bien sûr.
Aujourd’hui c’est le 22 juillet et j’attends cette
date depuis plusieurs mois. Prédiction de l’horoscope 2013. J’attends un
miracle assise sur un banc du quai de la gare. Une rencontre. Rien ne pointe á
l’horizon.
Les flics s’approchent de moi. Contrôle d’identité. La
rencontre prend fin. Et je crois encore aux miracles, putain des baffes !
J’arrive
le soir à Astorga. Dans le wagon, je croise des pèlerins français. Une femme et
ses deux enfants. On cherche notre chemin en sortant de la gare. J’aimerais les
aider puisque je parle espagnol. La mère me repousse. Je comprends que ce sont
des chrétiens bourgeois qui parcourent le chemin chaque année par tronçon. Ils
font les durs, élevés à la dure. Je souffre donc j’ai un orgasme. Tout cela est
assez loin de mes conceptions. On arrive dans auberge bondée à craquer. On nous
propose un matelas dans le hall. La femme masochiste trouve le gite
« merveilleux ». Les enfants aspirent leurs ampoules à la
seringue. Je fais le tour de la ville et
je m’ennuie comme un rat mort. Mais qu’est-ce que je fous dans cette galère. Je
suis peut-être plus près du but mais qu’est-ce que je me sens loin de chez moi.
23 juillet Astorga- Rabanal del camino.
Il
fait encore nuit lorsque je traverse la ville. La lune est magnifique. Je suis
heureuse d’avancer. Je marche sur une
ligne droite très droite, très longue.
cette
ligne est parsemee de pelerins. on dirait des petites fourmis qui ont recu un
apple interieur et se dirigent toutes vers la meme fourmiliere. la multitude va
rejoindre le grand Un. phrase qui s’illustre graphiquement par la coquille de
saint jacques ou bien la patte d’oie. on suit le soleil dans sa course. on veut
savoir ou il s’ecrase le soir. on marche notre ombre devant nous tout le matin
puis le soleil passe par dessu pour ensuite nous guider droit devant.
le
paysage change. On grimpe. J’arrive dans un village charmant. Je trouve une place
dans un monastère magnifique. Je respire une fois de plus. De merdique je passe
à magnifique. La grande roue de la fortune a tourné une fois de plus. Je ne me
comprends pas. Pourquoi je tombe si bas et me morfonds si je sais bien qu’il
n’y a qu’à attendre que la roue tourne.
On
se connait si bien, si mal.
Le
soir je m’empiffre pour célébrer la victoire.
24
juillet Rabanal- Molinaseca
Victoire
il ne fallait pas crier victoire. J’ai une tendinite à chaque pied. Le tendon d’Achille
n’est pas seulement la faiblesse d’Achille
Dans
la descente un troquet me sauve la vie. Je me requinque, tortilla et verre de bière.
Je rencontre un espagnol et une italienne.
On
fait la route ensemble et ne tardent pas à m’abandonner. Hier, je volais. Aujourd’hui,
je rampe comme un escargot.
J’arrive à l’auberge en me trainant, de trente
centimètres en trente centimètres. Direction la pharmacie. On devient humble. Les
faiblesses de mon voisin hier sont devenues les miennes aujourd’hui. Ca calme
les egos.
25
juillet Molinaseca- Cacabelos.
On
dit que pour aller loin, il faut ménager sa monture. Mais je n’ai pas de
monture seulement mes pieds. Alors je fais des pas de fourmi. Le proverbe est
plutôt efficace. J’avale les kilomètres mais je surchauffe sous le soleil de
plomb.
Un
papi vend des bâtons de marche à trois euros. J’en achète un pour soulager ma
tendinite. Je suis très heureuse de mon acquisition.
le
bourdon du pelerin represente la verticalité, ce qui relie le haut et le bas.
le chemin represente l’horizontalité, ce qui relie l’est et l’ouest. les deux
lignes forment une croix. au centre se
trouve la rose, ce qu’il faut decouvrir, la foi interieur.
Quelques
kilomètres plus loin j’ai des ampoules au creux de la main.
J’aime
le caractère imprévisible de la douleur.
J’arrive
à l’auberge, des petites cabines tout autour de l’église. Je retrouve au
restaurant l’italienne et l’espagnol accompagnes
cette fois de deux jeunes italiens beaux gosses. Ils me plaisent bien ces bons
vivants. On enchaine les petits verres de vin et les tapas.
sur
le chemin j’ai l’impression que tout le monde m’aime bien. dans ma
famille ? oui et non.
26
juillet Cacabelos – Vega.
on
croit qu’on va penser á des questions existentielles sur la route, que les
aphorismes vont fuser á chaque croisement et en definitive on pense á
l’horiaire d’un train ou á l’achat d’un bout de savon pendant 90 km. pauvre
tete !
Beaucoup
trop de bitume. Un chemin, à côté d’une voie express, ça saoule.
J’aperçois
la pancarte du village. Je fantasme à l’idée de la douche. Mais comme
d’habitude le village s’étire en longueur. A chaque passant rencontré je
demande ou se trouve l’auberge des pèlerins. La réponse est toujours la même.
« Juste là à cinq cents mètres » évidemment quand on circule en
voiture, tout semble à cinq cents mètres. Les distances ne s’évaluent pas de la
même façon si on est en pantoufles sur le pas de sa porte ou bien si on s’est
déjà bourré vingt-cinq bornes.
J’entends
une terrasse qui braille. Génial les italiens sont attablés avec d’autres
bougres. Juste ce qu’il me faut. Le sourire s’affiche. Une deux trois quatre tournées…la
soirée prend forme.
le
chemin fonctionne de facon binaire : effort-recompense. on apprecie le
soir le sentiment du devoir accompli. on deguste une gorgee d’eau comme le font
les enfants á la fin de la recré du mois de juin.
27
juillet Vega- Alto Poyo
Un
espagnol me colle et me donne des ordres. Cela devient difficile entre nous car
je ne supporte pas qu’on m’impose une norme autre que la mienne.
c’est
assez drole comme en l’espace de trois etapes on peut vivre une histoire
presque d’amour avec un debut un milieu et une fin : rencontre ,
rapprochement, mariage et divorce. tout
se concentre.
d’ailleurs
c’est valable pour tout. tout a un debut , un milieu, une fin…un chemin de 5
jours, 20 jours, trois mois…c’est une trilogie ineluctable.
Une
longue montée s’annonce. Tout le monde en parle comme de l’épreuve suprême. Bien
que ma tendinite me freine, je grimpe sans encombre. Je suis rassurée. Ce n’était pas l’Everest. J’arrive
sur un grand plateau venté. Le froid s’installe. Je me refugie dans le
restaurant en haut du col. L’ambiance est chaleureuse. La clique des italiens
arrive. Heureuse de les retrouver, je décide de m’offrir un après-midi de
glande plutôt que de poursuivre sous la pluie.
28
juillet Alto Poyo- Samos.
Les
plus belles étapes se profilent. J’entre de nouveau dans le monde de Tolkien. Les
châtaigniers centenaires m’abritent, les fougères déroulent leurs crosses,
l’odeur humide des sous-bois m’enchantent. Mon cœur est ravi. je ne peux plus
m’empêcher de sourire.
je
souffre déjà á l’idee que tout cela va s’arreter. bordel quand est ce que je
serais capable de retirer toutes ses toiles d’araignees qui envahissent mon
plafond ?
Au
creux de la vallée, j’aperçois le monastère avec son toit d’ardoises bleues.
Splendide. C’est là que je reposerai mes muscles engourdis par l’acide
lactique. J’entre sous les voutes du
dortoir. Il faut choisir sa couche parmi les lits à étages alignes en longs
rangs d’oignons. Je ne sais pas si ça ressemble plus à l’armée, à la prison ou à
un monastère. Ça pue la vieille
chaussette humide qui sèche sur un radiateur. Les chiottes embaument. Je me
lave les dents et je reste médusée à la vue d’un mollard sec au fond du lavabo.
Je suis
un soldat prisonnier moine. Le comble c’est que je suis volontaire et heureuse.
se lever, préparer son sac, marcher, manger, marcher,
penser, penser, se doucher, laver son linge, faire les comptes, regarder la
prochaine etape, analyser le calendrier…c’est l’enchainement de toutes ces
taches qui les rendent interessantes et agreables. c’est l’alternance
salutaire. une vie á ne faire que penser serait un enfer. une vie á ne faire
que des comptes serait insupportables, une vie á ne boire que des bieres serait
ennuyeuse…
La
nuit le corps exulte. Une symphonie de pets et de ronflements. Un petit couple
a même choisi de faire grincer le lit.
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