Préface à la collection de textes Imposture
Par Hervé Malagola.
Bon, il est toujours facile de dire de quelqu’un qu’il écrit comme on éjacule mais enfin, quand on astique la lampe à huile pendant un certain temps, ce n’est pas toujours de petits génies proprets qui finissent par sortir, mais aussi des vauriens hirsutes qui s’excitent en gueulant et en éclaboussant tout le monde, non ? Surtout si les orifices sont à moitié obstrués, alors le jet n’en sera que plus violent : il en sortira des vieilles proprios au « cul trop lourd », des homos couillus en brassière, de la morve en « petits filets de premier choix », des ventilos goguenards, des cous collants, des « chéneaux qui dégueulent », des caribéennes, « des petits bouts de savon », des mères et des grand-mères qui tricotent, des croûtes sèches sur les genoux d’une petite fille de cinq ans, des vendeurs de guayabas, tout un souk que Fabienne Le Blevec ne se résigne décidément pas à cacher sous le tapis volant qu’elle a elle-même tricoté. De toutes façons, on sait bien depuis Oehlenschläger que les vieux magiciens sont impuissants à résoudre les arabesques énigmatiques du fouillis de l’existence, même avec l’aide de figures acoustiques ou de baguettes molles…seul un enfant de la nature, un petit voyou, éventuellement une femme fontaine peuvent nous dire à quoi « rêvent les objets », bref peuvent déchiffrer dans le fatras de la misère ordinaire le bonheur des pelotes qui sautillent sous les mains d’une mère qui a passé sa vie à astiquer des lampes sans forcément voir jaillir des Aladin.
Enfant de la nature d’abord, ça ne fait aucun doute,
écureuil au poil brillant, leste et économe, amoureuse des fleurs et des légumes
verts, Fabienne Le Blevec veut surtout abolir les dissonances qui nous séparent
de la réalité cosmique. Pour paraphraser Queneau : « Vous vous
intéressez à la météorologie Madame ? –Un peu je possède un ventilo… ». Un ventilateur proustien, asthmatique, lecteur à ses heures,
brassant sans trop y croire une chaleur qui de toutes façons ne diminuera pas…Car
la chaleur est la preuve que nous sommes là, bien de ce monde, la preuve de
notre élection nécessaire « même si
l’eau ruisselle en sens inverse » : elle s’insinue dans notre chair,
suscite des espoirs absurdes de fraîcheur ou de nuit, mais finalement justifie
la complicité de celui qui, avec « ses petites pales » nous ramène à l’essentiel : le geste de
l’écriture. « Le ventilateur tourne les pages de son cahier. Automatique.
Elle voit passer son écriture à toute vitesse. » Fabienne Le Blevec est
une feuille d’arbre.
Petit voyou, encore plus peut-être, admiratrice d’un
frère qui « écrabouille les limaces », paresseuse, gourmande, insolente, gaspilleuse,
elle ne mérite sans doute pas, au regard de la « sorcière », son
ascension d’écureuil blindé de noisettes…Qu’elle se remplisse « la panse
de tartines de camembert », ou qu’elle passe « un jour complet dans
un hamac », qu’elle envoie les
riches « se faire foutre », peu importe au fond, elle a été choisie
et elle le sait, son génie le lui a dit quand elle fonçait la tête la première
au bas du toboggan et qu’elle gaspillait son sang pour garder la liberté de ne pas
mettre les mains… « Alors va-t-elle faire la queue en haut de
l’échelle ? Non ? Et ben si. » Mais elle ne restera pas en bas,
non, et la richesse matérielle, comme la lampe merveilleuse, ne vaut que par le désir de celle qui les
possède et qui les met au service de son destin. « Je me fais des boucles
d’oreille avec les cerises ». Fabienne Le Blevec est un écureuil volant.
Femme fontaine absolument, on y tient, et pas seulement parce qu’elle pleure parfois.
Parce qu’il pleut aussi beaucoup dans
ses textes, et qu’on y jouit. « Tout était si tendu qu’une larme me sortit
de la tempe »: quand les narines sont presque bouchées, les frottements
répétés produisent des éruptions violentes, c’est une loi purement physique. Et
« les regrets mouillent plus que les remords » est un précepte qui se
vérifie. Mais Aladin, lui, se refuse à apparaitre ou bien a déjà disparu,
« il y a encore des vœux qui restent inertes », et la lucidité n’empêchera
certainement pas le déluge. Car il pleut
beaucoup dans le monde leblévéquien, et le taux d’humidité est élevé (« Quatre-vingt pour cent », au moins !). « Bogota la pluvieuse » est
la déesse tutélaire d’un univers détrempé. « Les chiens pissent »,
les « nuages fondent comme des cordes », « trois gouttes et puis
d’un seul coup des seaux. La rue devient un torrent d’eau chaude », mais
le liquide ne vient pas purifier l’atmosphère, non, il se répand en vain sur
des êtres qui savent qu’aucun soulagement n’est à attendre de ce côté-là.
« L’averse passe. La température n’a pas baissé d’un degré. » L’espoir
ne vient pas d’en haut, soyons sérieux un instant, cela se saurait, il vient bien sûr de sous les draps : « Ça me donne
froid aux liserons même quand j’ai les fontaines au chaud ». L’espérance
est horizontale, et érotique. « On se glisse dans un hamac »,
« on se traine jusqu’au lit »: ne cherchez pas plus loin le sens de
votre identité, Français de souche, il est sur votre matelas, dans la rencontre
avec l’étranger avec qui « y a rien d’autre à foutre ». On fout ce
qu’on peut. Fabienne Le Blevec « est déconnectée de toute
appartenance », mais elle retrouve, dans l’érotisme moite et les genoux qui « suintent »
d’une ville des Caraïbes, le génie de son enfance détricotée.
Et puis il y
a l’épanchement de testostérone, l’amour « des hommes, des hommes et
encore des hommes », le désir démesuré de « ces cinq bataillons de
bites et de petits culs », qui eux aussi à force d’être astiqués ont fini
par faire jaillir de leur lampe-néon des
éventails, des boas, des brassières, des folles là où on ne voyait que des
« pères de familles », des divas là où on ne voyait que des Bruce Willis. « Depuis
quand cette femme vit-elle emprisonnée à l’intérieur de ce corps
d’homme ? » Depuis quand cette
écrivaine attend qu’on
fasse sortir de sa fontaine magique le
génie érotique qui lui fera créer encore d’autres êtres de la nuit, d’autres
écureuils, d’autres ventilos, d’autres biscottes et d’autres toboggans ? Fabienne
Le Blevec est une source.
NB: Les cinq textes de la collection Imposture sont publiés sur le blog.
Les écureuils, octobre 2012
Télescopage, Chaleur, septembre 2012
Imposture, décembre 2012
Un bouge appelé le Polo, avril 2013.
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