sábado, 30 de marzo de 2013

Ratatiné et engoncé.





Il est devenu une éponge alors il marche sur le quai dans les pas des autres. Il observe ce pays de la médiocrité, du petit, du ratatiné.

Il s’assoit au bord du trottoir pour griffonner sur un papier ce qui vient de lui sauter aux yeux. Il angoisse de ne pas retrouver son stylo au fond de son sac.

Il appartient à cette nation et en même temps, il se sent détaché. Les gens sont vieux, chauves et bedonnants. Ils vivent dans la peur que leurs dahlias ne crèvent, que leurs rosiers ne gèlent. La musique est scandée, militaire, pas un cheveu ne doit dépasser. Les chefs d’orchestre sont des automates. Des panneaux  d’interdiction ponctuent les murs. Rien n’est laissé au ressenti, tout doit être calculé. Rien n’est rêvé.

Phrases attrapées à la volée : Oui, j’aimerais bien acheter un microonde, mais avant, il faut que je fasse une étude de marché.

Ils vivent et meurent engoncés dans leurs plis de pantalon bien repassés. Même les bulles de champagne ne leur font pas oublier les factures à payer.

Les gens s’entassent sur le sable et s’entourent de parasols, ballons, chaises pliantes, coussins gonflables, serviettes, radio, magazines … et au fond d’eux nichent leurs émotions mais elles ne percent pas.

Ses yeux se craquèlent en cherchant un point à l’horizon. Il écrit sur une serviette en papier mais n’entre pas dans le vif du sujet.

Autour de lui, les vieux endimanchés parlent de douleurs et de santé. Ou plutôt de statistiques et d’évaluation.

Les antis inflammatoires n’agissent pas. Les petites gouttes sont comptées et recomptées trois fois par jour. Elles ne sont pas remboursées par la sécurité sociale. Un scandale!

Une femme aboie, un enfant pendu au bout de son bras. «  Quand tu seras calmé, je te lâche ». Phrases entendues, reconnues, phrases sans âge. Pas très efficaces. Le môme braille comme un putois et se tortille. Tout rouge.



Il assiste à la scène, toujours assis en crapaud sur l'asphalte. Les cris lui brisent les tympans.

Son regard fait le va et vient. Horizon-enfant, horizon-enfant. Il prend conscience.

Il observe cette foule comme on examine ses points noirs dans le rétroviseur.
La laideur de ces gens est à la hauteur de la sienne. Et réciproquement.
Il a devant lui l’océan et il gobe le vent. Les cent quatre-vingt  degrés du ciel enveloppent sa tête et lui font du bien.

Il reste là sans bouger. La sensation d’être enfermé lui donne envie de courir. Il regarde ses pieds qui ne bougent pas et ne se décident pas. Il expire.

La liste des choses à faire l’asphyxie. Mais quelles choses à faire ? Quel est le tracas ? Il ne comprend pas cette obsession qui le hante. Quel est ce devoir qu’il s’impose ?

Les rochers affleurent. La marée basse a laissé toutes sortes d’épluchures derrière elle.

Marcher, il se résout à marcher. Il traverse la foule, passe entre les coussins gonflables, les revues, les serviettes en faisant très très attention. Un seul pas de côté, une seule entrée inopportune sur le territoire du vacanciers et ce sera le sarcasme cinglant voire l’engueulade. Aujourd’hui, il s’en tire bien, il aura juste droit au foudroiement du regard.

Sable dur, sable mou. Ses pieds s’enfoncent et refont surface. Les chaussures se remplissent.

Les oiseaux courent au bord de l’eau. Leur nuage change de couleur à chaque mouvement et passe du blanc au gris clair, du gris moyen au gris anthracite. On dirait des mouches sur un miroir.

En face, les maisons sur l’île apparaissent distinctement. A gauche, en revanche, un autre îlot se fond dans la brume.

Les frissons parcourent par vague ses vertèbres.

La mer le soigne, imperceptible.

Il ne peut plus la quitter. Il scrute les pattes rouges des mouettes qui tricotent à toute vitesse. On dirait des petites dames au caractère bien trempé. Elles ne se laisseront pas faire celle-là.

Il se sent éparpillé, de partout et de nulle part. Apatride. Il se retrouve sans  aucun lieu d’appartenance.

Il essaie de se détendre mais il coince. Oxydé. Il fait l’effort de décontracter les muscles de son cou, de ses épaules.

Il s’étrangle, il soupire, rejette loin ce grand linceul d’idées noires. Chaque jour.

Il quitte le sable, monte les escaliers de bois et s’installe sur une chaise.

Tout le monde rit autour de lui. A la terrasse du grand café. Mais qu’est-ce qu’il fait là ?

Le soleil très loin maintenant éclaire des volutes de nuages.  A chaque table, il y a une blonde.

Les pâtes aux champignons sont arrivées. Il se sent gros et laid. Il ne peut plus aboutonner ses pantalons. Il rêve d’être en pyjama au fond d’un lit. Il y a une douceur de vivre qui ne l’atteint pas.

Voilà, il a avalé ses pâtes à la vitesse de l’éclair et maintenant que faire…

Il se trouve  au cœur de la foule mais il voudrait être au cœur des choses. Il ne réussit pas à savourer. Il se sent à bout de nerfs, à bout de forces, au bout d’un chemin qui s’est tant de fois répété.  Il veut tout et son contraire. Se coucher et se lever. Parler et se taire. Etre seul et accompagné.

Mais quel est le prochain épisode ? Même son caleçon a perdu son élastique. Dans les toilettes, il remonte sa fermeture éclair, se savonne les mains, se tapote les cernes avec de l’eau fraiche. Il règle à la caisse.

Devant le grand café, sur le quai, il reste planté là, à l’aise nulle part. Partir à droite, partir à gauche ?

Il craint d’exploser.

Il n’aime pas l’homme qu’il devient. Un apothicaire du chiffre. Comptant et recomptant, calculant et recalculant sa petite monnaie, les heures, les minutes, les grammes.

Il n’aime pas cet individu triste et sec qui oublie de vivre et de respirer. Il contrôle jusqu’au dernier centime dans la peur du manque. Il se frustre. Il s’interdit le superflu, les gâteries. C’est le Picsou des quartiers bohèmes.

Il n’aime pas ce personnage, et pourtant il le côtoie tous les jours. Il se déplaît franchement.

 

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