Dépression.
Il est
scotché au fond de son lit. Il regarde les romans posés sur la table de nuit. L’à-quoi-bon
l’envahit. Aucune envie ne se présente ou plutôt mille se présentent mais
aucune ne le lève. Il se retourne, repense au rêve qu’il vient de faire. À
peine parti, il essaie de le retrouver. Des images violentes apparaissent. Il donne
des coups à trois jeunes filles en sari. Elles sont magnifiques. La soie est
douce. Les poings tombent, les mains arrachent les cheveux. Le sang coule mais
n’est pas suffisant. Il se retourne, attrape l’oreiller, glisse ses bras en dessous,
recherche la froideur des draps, essaie de la goûter comme dans l’enfance. Elle
est insipide et ne réussit à réveiller aucune sensation chez lui.
Il se
lève après trois heures de recherche. Il devient un automate. Il se prépare des
œufs. Ils ont le goût du polystyrène. Il se sent prêt à aller se coucher. Il aimerait
sortir mais il est retenu dans l’aquarium.
Le ciel
est à l’automne. Ça lui donne une excuse. Il reprend son souffle et retourne
uriner pour la cinquième fois. Les angoisses montent, gonflent, s’évanouissent
en va et vient. Elles masquent les troubles des profondeurs.
Une personne
en chair et en os pourrait peut-être l’arracher à sa torpeur mais qui viendra…personne.
Il baisse les bras et fume un joint. Le monde alors se disloque davantage. Tout
se transforme en carton-pâte y compris son propre corps. Il le regarde étrangement,
sans sentiment d’appartenance.
Il reste
là deux heures encore sans bouger. La dépression est le verrou qui l’empêche de
sombrer dans le délire psychotique. Rien ne le soustrait à sa mélancolie.
Dans
un effort constant, il se lève et entre dans la douche. Il espère de l’eau un
miracle. Une caresse sur son corps, des dizaines de petites mains. Très vite
disparues. Et puis il se savonne. L’enveloppe reste étrangère, insensible.
Si
fatigué d’être lui-même, il est absent.
Il s’habille
et sort très vite dans la rue, le réel va peut-être enfin poindre. Les rues
sont désertes, sales, incompréhensibles.
La laideur
de la ville lui saute à la gorge. Il essaie de faire diversion, marche encore
et encore. Le sang s’échauffe et il commence à transpirer. Il espère redevenir
ce qu’il sait de lui. Rien n’y fait. Il se dédouble. Il craint pour lui et préfère
courir, retourner à l’appartement, que personne ne le voit, que personne ne
sache.
Il se
couche de nouveau sur le canapé, préfère ne pas regarder par la fenêtre. Il ne
sait pas ce qu’il faut attendre.
La peur imminente de mourir arrive par
surprise. Elle ressemble à l’instant où l’on glisse dans un entonnoir. Un vent
glacial descend du haut de son crâne jusqu’aux épaules. C’est la peur d’avant l’impact,
comme la chute de l’ascenseur, le glissement d’une voiture avant l’accident, la
secousse d’un tremblement de terre. Mais cet instant si court dans le réel s’étire
chez lui comme un chewing-gum. Il s’étire des heures entières en variant l’intensité.
Magnitude 5.5, 4.2, 3.7, 9.2 et ainsi de suite.
Le corps
est anesthésié, congelé puis grillé dans l’huile d’une poêle, submergé dans l’essence.
Les sens
ne peuvent plus suivre.
Il se
lève d’un coup d’un seul. Il range ses vêtements comme s’il ne lui appartenait
pas, il les plie, fait des piles. Il a l’impression de mettre en ordre l’armoire
d’un mort le jour qui suit l'enterrement.
Il se
secoue, prépare un café et puis s’embue de nouveau. La nuit tombe comme un
soulagement. Il peut retourner se coucher. Disparaître jusqu’à demain.
La culpabilité
pointe son nez. La norme ne permet pas de se coucher à six heures du soir. Il retourne
vider sa vessie. Un peu moins de lest. Trop peu de lest. Il s’évapore, panique
à l’idée de devenir un gaz, de se perdre. Il essaie de rattraper ses molécules
qui foutent le camp.
Il se
rassoit sur le canapé, suffoque un peu. Il se pince.
Les trous
d’air lui donnent des hauts le cœur. Il s’allonge, se rassoit, se rallonge, se lève
d’un bond, passe le balai et vide la poubelle.
La douleur
fantôme passe et repasse. Rien ne bouge dans l’appartement.
Il prépare
un café, remue et remue les casseroles les unes contre les autres dans le placard.
Faire du bruit, s’accompagner de bruit.
Il se
rassoit sur le canapé, le canapé comme un aimant. Il fume une cigarette qui lui
donne la nausée. L’estomac se retourne un peu, sans plus.
Il décide
de téléphoner à un ami. Conversation banale qui anime pendant dix minutes la salle.
Les mots ordinaires résonnent. Le réel revient enfin comme une pause
cotonneuse, un refuge.
Il raccroche.
Le vent froid s’écrase de nouveau sur son crâne, glisse derrière les oreilles,
dans le cou.
Il a
réussi à résister jusqu’à dix heures. La norme l’autorise à se coucher.
Depuis
l’oreiller, il regarde les romans sur la table de nuit. Il tend le bras,
abandonne. Il le tend de nouveau et dans l’effort ouvre le premier livre.
Il lit,
sans comprendre, des suites de mots indistincts. Pas plus de goût que les œufs en
polystyrène.
Il éteint
la lumière. un gouffre s’ouvre sous lui avec l’apparition de l’obscurité. Il tressaille
un peu. Il se retourne, serre l’oreiller et fait comme si de rien n’était. Il essaie
de l’ignorer comme une personne qu’on n’a pas envie de voir.
Il attend
le sommeil. Heureusement, il arrive. Enfin le salut.
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