jueves, 23 de agosto de 2012

À quoi bon écrire.1.


À quoi bon écrire.1.
Ou tout raconter sans savoir comment.
Vingt ans. Pourquoi attendre encore vingt ans? Encore vingt ans avant d’écrire son premier livre. Pourquoi attendre avait-il dit ou bien non il ne l’avait pas dit. Alors elle était rentrée chez elle. Endormie dans le bus. Sous la pluie et dans ses rêves. Un sale temps spécial écrivain. Donc, elle ne devait plus attendre: fallait-il écrire à la suite dans ses vieux cahiers. Non, on ne déterre pas les vieilles pages enfouies dans un tiroir. Alors prendre un nouveau cahier ? Pages blanches qui sentent le neuf? Un de plus... Et puis finalement, pourquoi ne pas écrire dans un monde dématérialisé, l’écran bleu de l’ordinateur, ça fait 21ème siècle. Un nouvel espace.
Très mal installée, elle commence à écrire. Ça ne vaut pas un pet de coucou. Peu importe. Le chat ronronne sur le sofa à côté d’elle. Ca fait écrivain. Le chat. Il joue avec le cordon de l’ordinateur. C’est perturbant. Elle a une excuse pour ne pas écrire. Rien à dire, rien à écrire. Peu importe, pissons. L’heure n’est pas à la relecture.
Elle voudrait retrouver cette extase. Ces bulles qui émergeaient sans savoir ni d’où ni pourquoi. Elles apparaissaient d’un moment à l’autre.  On s’installe et les mots arrivent. Elle cherche un autre soi qui écrirait et qu’elle pourrait relire.
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À quoi bon lui dire, avaient-ils pensé. Ce n’est pas intéressant. Son père était mort.  Pourquoi lui dire ? Une nouvelle banale, en somme. Le chat est mort, le voisin est mort, un chanteur est mort, c’est intéressant. On fait passer la nouvelle. Mais son père est mort. Non, on ne lui a pas dit. Ni sœurs, ni frères, ni mère. Elle était née sans père, voilà tout… ou bien plutôt on croyait que la mère s’était fait engrosser par le saint esprit, ou par le plombier, ou les deux à la fois.
Dans la fratrie, il y avait d’abord eux et avant tout eux, et puis ensuite elle. Elle, une sorte de mélange de tous les frères et sœurs. Elle était leur créature, leur invention, une chimère, un Frankenstein avec des petits morceaux collés de tous et par tous. Le père avait été évincé. Purement et proprement de cette création. Et tous attendaient beaucoup d’elle. « Elle a un regard noir. Elle ne va pas être commode celle-ci. Elle ne va pas se laisser faire, vous allez voir. » Paroles lancées sur berceau.
Alors des années plus tard, elle avait cherché la tombe, du père. Sous un soleil piquant du mois d’août, un papier annoté à la main par l’employé du cimetière. Carré b72, allée 27, tombe 12. Elle s’était approchée, n’avait jamais été aussi près.
Devant une stèle de marbre, elle avait dit bonjour et au revoir. Fière d’annoncer qu’elle allait passer de l’autre côté de l’Atlantique, traverser la mère. Voyager. Sans lui et pour lui, elle allait faire tout ce chemin. Tu ne me connais pas. Je vaux 100 et zéro aussi. Elle n’avait jamais été aussi près. Elle a laissé quelque chose, une fleur, un mot, rien, des mots, elle ne sait plus.
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Dans le bus, sous la pluie, elle dort, rêve. Un roman qui s’écrirait tout seul, qu’elle pourrait relire. De l’autre côté de la mer, elle fume des Belmont à côté de son chat. Elle écrit sur ses genoux. Le chat intrigué ouvre des yeux de chouette et joue avec le cordon. L’eau qui ruisselle sur les vitres est-elle la même que celle qui ruisselle sur le marbre d’une tombe allée 27 carré b72 ? Les molécules sont-elles les mêmes ? D’un côté et de l’autre de la mer. Le chat lui griffe un peu les mains. Le roman ne s’écrit pas. Les alarmes des voitures se déclenchent, ne s’arrêtent pas. Le réel est bien là.
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La jeune fille-la mère-avait vingt ans. Ses règles n’étaient pas arrivées ce mois-là. La mère-la grand-mère- s’en était rendu compte. Elle non. Elle n’avait pas fait le rapprochement, par ignorance… « Ma fille, je veux voir ce jeune homme, on est dans de beaux draps. » Ils s’étaient rencontrés, «  Jeune homme ! Ou bien vous la mariez ou bien vous disparaissez à tout jamais. » Il n’avait pas disparu, enfin pas encore. Vingt-trois ans allaient s’écouler avant qu’il ne devienne un père inintéressant et puis le « Ma fille, ce jour-là,  tu aurais mieux fait de te casser une patte que de le rencontrer » était arrivé un peu plus tard lorsque les coups et blessures étaient apparus. Elle s’était mariée en rose. Sur les photos en noir et blanc, personne ne s’en était rendu compte.
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Parfois elle -la mère- faisait la vaisselle et un chat dégueulait derrière le radiateur. Un bruit d’évier mal débouché se faisait entendre. Elle -la fille- aurait bien aimé avoir une maison normale. Comme chez les autres, où elle n’aurait pas eu besoin de pousser les assiettes pour faire ses devoirs.
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Les alarmes se sont tus mais le réel n’a pas disparu. Le chat s’est endormi. Tout est absurde. Comment se sauver? Croire en dieu, ou bien écrire. Dieu me manque et je ne peux pas m’obliger à croire. Écrire de la soupe, cela vaut-il la peine? Les alarmes reprennent. Le réel et la faim s’abattent sur elle. Il faut s’avouer abandonnée, et de dieu et de l’écriture.
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